Synopsis
Une mare abandonnée. Deux enfants solitaires tombent sous le charme de ce lieu sauvage qui les rapproche peu à peu l’un de l’autre et les aide à apprivoiser la vie. À travers leur regard, leur imaginaire, la mare devient un royaume secret à la fois merveilleux et inquiétant, peuplé de créatures de rêve ou de cauchemar. Une expérience initiatique, brève et intense, dont ils sortiront transformés.
Equipe & Casting
Réalisateurs : Claude Nuridsany et Marie Perennou
Scénario : Claude Nuridsany et Marie Perennou
Avec : Simon Delagnes, Lindsey Henocque et Jean-Claude Ayrinhac
Programmation & Présentation
Présentation et discussion avec Claude Nuridsany et Marie Perennou, réalisateurs
Saturday, March 31 – 11:00 a.m at the Byrd Theater ~ 1h21 ~ General Audience
Plus d’informations
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La Clé des champs est un véritable conte de fée, un hymne à l’enfance et à la nature. La mare – ce lieu que les enfants transforment en une sorte de paradis sacré, de refuge loin du monde des adultes – devient un miroir magique au travers duquel ils découvrent des êtres nouveaux qui les transformeront à jamais. Les animaux et microcosmes aux abords de la mare sont perçus à travers les yeux des enfants. Chaque chose filmée est bien entendu le reflet du fonctionnement de la nature, même si elle se voit transformée par le cadrage, la luminosité, la cinématographie et la bande son… Les animaux deviendront ainsi des personnages à part entière – des fées, des ogres, des dragons, des êtres imaginaires – tantôt drôles et tantôt effrayants.
Notre objectif est de faire découvrir aux spectateurs, petits et grands, que les plus grandes merveilles et les plus profondes métamorphoses peuvent animer le cœur de tout un chacun. Si on y regarde de plus près, une petite mare au fond de la campagne peut devenir un océan rempli de créatures extraordinaires. Et grâce à un matériel de tournage à la pointe de la technologie (endoscopes, boroscopes, microscopes, caméras à grande vitesse et la technologie optique du motion-control, mise au point spécialement pour le film), nous avons pu intensifier la perception du monde et de la nature qui nous entoure – et lui conférer une dimension poétique, enchantée.
Claude NURIDSANY & Marie PERENNOU
Depuis Microcosmos, vos œuvres sont mondialement célèbres et pourtant, on sait peu de choses de vous. Comment et pourquoi avez-vous commencé à travailler ensemble ?
Marie : Nous nous sommes rencontrés à la Cinémathèque lorsque nous avions une vingtaine d’années. Nous partagions une passion pour le cinéma, mais nous avons vite découvert que nous avions une même passion pour la nature, la peinture, la musique, la photo et la littérature. Nous travaillons ensemble depuis une trentaine d’années. Au début, nous collaborions autour de la photo et du livre.
Claude : Nous avons assez rapidement consacré des photos et des articles à la nature. Persuadés que le dialogue avec la nature est constitutif de l’être humain, nous souhaitions faire partager le sentiment esthétique passionnel que nous éprouvions. L’enjeu n’était pas pour nous de parler de telle ou telle espèce, aussi passionnantes soient-elles, mais plutôt d’animaux considérés presque comme des petites divinités, tellement étranges et tellement énigmatiques. Ces créatures constituaient comme un mystère, ce qui nous interpellait. Nous avons peu à peu défini une sorte de mythologie grâce au regard que nous portions sur le rapport à la nature, aux animaux mais aussi aux plantes, dont l’esthétisme est particulièrement puissant.
Marie : Nous avons débuté avec la photographie et avons assez vite rédigé des livres, d’abord sur les insectes puis tout un travail sur les plantes, les bourgeons et les fruits sauvages vus comme de petites sculptures, comme des œuvres d’art naturelles. Nous avons mis des années à terminer ce livre, car nous travaillions parallèlement sur d’autres projets comme des reportages pour des magazines. Nous faire un nom avec cette vision particulière, fragmentaire des formes naturelles n’a pas été évident, mais nous sommes parvenus à vivre de ce métier qui n’en est pas vraiment un. Il s’agissait de traduire ce besoin qui nous habitait, cette envie viscérale d’associer esthétisme et sens.
Pensez-vous que vous auriez pu faire ce métier-là l’un sans l’autre ? Que vous apportez-vous mutuellement ?
Marie : On ne cesse de s’apporter des choses l’un l’autre. Toute notre vie, nous avons cheminé ensemble, même si nous sommes très différents. Nous vivons et travaillons ensemble, mais chacun est libre. Nous avons construit notre vision du monde en discutant beaucoup. J’ai le sentiment d’avoir trouvé ma place et je ne sais pas ce que je serais devenue si je n’avais pas rencontré Claude.
Claude : Je n’aurais jamais pu faire seul ce que nous avons fait à deux. Chacun de nous est un peu responsable du destin de l’autre. Dès le début, nous nous sommes rendu compte que pour s’exprimer, notre fascination pour la nature nécessitait une toute autre voie que la traditionnelle approche « naturaliste ».
Marie : Montrer la vie des animaux dont on connaît d’ailleurs peu ne nous intéressait pas du tout. Notre envie n’était pas de faire des documentaires didactiques, souvent trompeurs par rapport à une réalité que scientifiques et philosophes commencent seulement à éclaircir. Nous voulions une expression beaucoup plus libre, une invitation à la rêverie. Nous souhaitions rester dans le mystère insondable de l’autre, de cet animal certainement beaucoup plus profond que ce qu’on imagine, et respecter son existence.
Vous travaillez en parfaite symbiose. Vos films apparaissent comme l’œuvre d’une seule entité. Comment vous répartissez-vous le travail ?
Claude : On ne se répartit pas le travail selon les compétences particulières de chacun. C’est plutôt un échange continu qui construit un tout. Jamais l’un d’entre nous n’a dû renoncer à quelque chose qui lui tenait à cœur. Nous nous ressemblons assez pour savoir ce qui est essentiel pour l’autre et nous épanouir pleinement dans le tout que nous formons ensemble.
Marie : Personnellement, je me retrouve complètement dans tout ce que nous avons fait, même si travailler à deux reste très spécial et pas toujours facile. Dans notre travail vers un même objectif, certaines choses nous sont communes et d’autres moins, mais elles sont toujours complémentaires.
Comment définiriez-vous l’essence de votre œuvre ?
Claude : Très vite, nous avons pris conscience que la relation à l’imaginaire était ce qui nous intéressait le plus dans la nature. L’homme apporte sa propre interprétation à la perception qu’il en a, comme lorsque, enfant, nous jouions à « On fait comme si ». Depuis Microcosmos, nous filmons les animaux comme de véritables héros traditionnels. Nous proposons une perception au spectateur en souhaitant que son imaginaire s’en empare et qu’il ait l’impression d’être le seul à le percevoir de cette façon. Il faut évidemment éclairer, cadrer et mettre en scène de telle façon qu’il ne verra pas une fourmi traînant une brindille sur un tapis de mousse mais un personnage au milieu d’une forêt vierge. Grâce à la transposition d’échelle, l’herbe devient une forêt vierge. Au-delà de cet appel à l’imaginataire et à une ouverture vers l’extérieur, le rapport à la nature que nous proposons au spectateur est aussi introspectif : il le renvoie au plus profond de son être.
La Clé des champs constitue donc un aboutissement de votre travail…
Marie : Tout à fait. La Clé des champs rassemble deux penchants que nous avons toujours eus en nous : le monde de l’enfance et le sentiment de la nature.
Claude : Dans La Clé des champs, la nature aide cet enfant à se découvrir, à se définir et à se recentrer. Face au monde trop rangé des adultes, la nature lui permet de retrouver ses racines. Elle a un côté rassurant car les animaux savent comment vivre alors que les enfants n’arrivent pas à comprendre les règles du jeu très élaborées du monde des adultes. On ne naît pas en harmonie avec le monde des humains. Il faut en comprendre les codes et accepter d’y entrer.
Marie : La nature aide les enfants à trouver leur place dans le monde. Les choses y sont plus simples. En observant la nature, on apprend des règles. L’enfant est dans une position d’observateur privilégié. Il ne peut pas être victime de la violence dont il est témoin. Il peut d’une certaine façon se prendre pour un Dieu, capable de sauver ou pas la fourmi qui risque de se noyer. Sa qualité d’observateur lui apporte une distance protectrice et un savoir fondateur.
Comment ce projet est-il né ?
Claude : Lorsque nous terminons un film, nous ne nous précipitons pas sur le suivant. Nous pouvons même nous demander si nous allons continuer à faire du cinéma. Les projets s’imposent s’ils revêtent une forme de nécessité.
Marie : Paradoxalement, ce projet a commencé par un détachement relatif vis-à-vis des animaux. Imaginer un film dont le seul sujet serait la nature et les animaux ne nous enthousiasmait pas particulièrement – nous l’avions déjà fait. Par contre, l’idée de relier cet univers à celui de l’enfance nous passionnait !
Claude : La mare et l’enfance sont arrivés en même temps. D’abord, parce que nous sommes restés des enfants. Nous sommes des animaux à métamorphose imparfaite. Bien que ce soit un mot très galvaudé, nous avons la chance d’avoir conservé notre sens de l’émerveillement.
Marie : Nous sommes restés des enfants par la manière dont nous nous émerveillons de certaines choses, presque de tout même. Cette admiration pour le monde qui nous entoure nous offre une certaine fraîcheur du regard ainsi qu’un recul critique vis-à-vis des règles du monde des adultes.
Que pensez-vous que l’on perd en devenant des adultes ?
Marie : Nous avons souvent constaté que les adultes ont des choses plus importantes à faire et ne remarquent plus les petites choses. Pourtant, ces petites choses sont souvent essentielles et les perdre de vue peut vous éloigner de ce que vous êtes vraiment au profit d’autres occupations souvent vaines. Pour notre part, Claude et moi avons l’impression d’avoir gardé cette perception des petits riens qui enrichissent le quotidien. Pour nous, ils sont même un moteur, quasiment une raison de vivre.
Claude : Le fait de grandir n’explique cependant pas tout. Je me souviens très bien avoir connu des enfants qui étaient déjà des petits adultes, avec des projets d’adultes comme avoir une grosse voiture ou des bêtises de ce genre. C’est heureusement très rare. À l’inverse, certains adultes conservent cette part d’enfance, d’émerveillement.
C’est aussi pour leur permettre de retrouver le chemin vers cette part d’enfance que vous avez fait ce film ?
Claude : Tout à fait. Nous espérons que nos films pourront les aider à se réconcilier avec la part d’enfant en eux. On peut très bien comprendre qu’ils aient un peu oublié cette part d’eux de par leur activité, mais si on leur indique un peu le chemin, beaucoup la retrouvent tout de suite. Comme pour l’odeur de la madeleine de Proust, il suffit de peu de chose pour ouvrir les portes du passé et de l’enfance. Quelqu’un qui n’a pas observé une fourmi depuis quarante ans, peut tout à coup voir resurgir le souvenir des heures passées à regarder des files de fourmis chez sa grand-mère. Nous sommes très sensibles aux images mentales. C’est pour cette raison que nous pensons que le cinéma, qui semble être l’enregistrement objectif de ce qu’il se passe, est tout sauf objectif. Ce sont des images mentales. Même avec la nature et les animaux, le cadre, le choix de la lumière suivant l’heure, le travail sur le son et la mise en scène tendent vers la re-création.
À la lumière de votre parcours, le petit garçon et la petite fille du film peuvent faire penser à vous deux. Quelle part de votre propre enfance avez-vous projeté en eux?
Marie : Il y a bien sûr une relation entre ces deux enfants et les ceux que nous avons été. Mais je n’ai pas eu la chance de connaître ce trésor qu’est un amour d’enfance. Claude et moi étions déjà grands lorsque nous nous sommes rencontrés. Par contre, une de nos premières balades a eu lieu près d’une mare et nous avons découvert que nous adorions cela, alors que je n’avais jusque-là jamais rencontré quelqu’un que cela n’ennuie pas.
Claude : Fouiller dans les plantes aquatiques au bord d’une mare et sentir l’odeur de la vase accompagné de quelqu’un qu’on aime, me semblait incroyable parce que toute mon enfance s’était déroulée dans la plus totale solitude quant à mon rapport à la nature. C’était un rapport heureux mais qui comportait malgré tout un manque puisque j’étais seul. Le film est un peu un conte de fée, une histoire idéale que nous avons inventée autour du thème universel des amours d’enfance. Le caractère de la petite fille et celui du petit garçon sont sans doute un mélange des deux nôtres. Il y a de nous dans chacun des personnages.
Choisissez-vous les animaux que vous filmez comme vous choisiriez des acteurs ?
Marie : C’est effectivement une sorte de casting. Nous les connaissons tous et nous savons ce que nous pouvons espérer de chacun en terme de potentiel. Toute la difficulté consiste à tourner assez pour obtenir ce que l’on espère, sans se contenter simplement de ce qu’ils donnent facilement.
Claude : La perception émotionnelle des créatures choisies est primordiale. Comme pour les personnages d’une fiction, certains évoquent plus des fées, des dragons, des jouets ou des monstres. C’est un bestiaire d’ailleurs assez proche de l’enfance, allant du merveilleux à la laideur. Le film est une alternance conçue au départ à travers un long travail. Nous procédons comme dans une composition musicale, en jouant sur les contrastes de caractères et d’émotions. On rit, on s’interroge, on est effrayé. L’être humain ne fonctionne pas par objectivité sauf si l’on est dans le domaine scientifique. À l’intérieur d’un spectacle, on a plutôt envie d’une restitution émotionnelle. Nous essayons de transmettre, d’aider à retrouver le sentiment éprouvé au moment de la découverte ou de la fréquentation de ces créatures. C’est par exemple vrai pour la séquence très courte où les têtards donnent l’impression d’une cour de récréation où les enfants courent dans tous les sens. Chacun de nous associe tous ces spectacles à des comparaisons, des métaphores.
Comment et en combien de temps avez-vous mis pour réaliser ce film ?
Claude : La préparation, le tournage et le montage ont duré quatre ans. L’écriture est une phase passionnante. Le tournage est la partie la plus laborieuse. Il faut être philosophe. Depuis que nous faisons du cinéma, nous nous sommes rendu compte que l’on commence chaque séquence en choisissant la meilleure période, en ayant déniché l’animal et à peine avons nous filmé le premier plan que l’on se dit qu’on n’y arrivera jamais. Mais on continue quand même. On peut quelquefois faire des plans pendant quatre jours et se rendre compte qu’il n’y a rien à garder. Et puis soudain, un miracle !
Quel est la part de plans tournés par rapport à ce que l’on voit à l’écran ?
Marie : Très peu de scènes tournées ne figurent pas dans le film. Nous nous en tenons à notre plan de tournage.
Claude : On peut revenir à ces plans de tournage selon la saison, la lumière, l’apparition d’une nouvelle bête intéressante, cette libellule qui se pose sur une feuille flexible. On laisse alors tomber tout le reste pour s’y consacrer. Nous filmons toujours avec un objectif précis, jamais pour une simple captation. Pour le tournage, les principes sont pratiquement les mêmes que pour la fiction sauf que nos acteurs ne sont absolument pas maîtrisables.
Rencontrez-vous des « acteurs » remarquables ?
Claude : Il est impressionnant de constater à quel point chaque animal a sa propre personnalité. Ce sont de véritables personnages qui ne sont pas du tout interchangeables. Quand on en trouve un qui a vraiment une façon de faire intéressante, on insiste pour essayer d’obtenir le maximum de ce qu’il nous offre. Même des animaux aussi rudimentaires que des larves de dytique, avec leurs grosses mandibules et accrochées sous l’eau, arrivent à se distinguer clairement les unes des autres. Lors de leurs combats d’intimidation, c’est frappant. Alors pour trouver cela, pour le filmer, il faut une sorte d’obstination presque folle. On pense d’abord que c’est impossible, mais il faut continuer.
Ce film a ceci de particulier qu’il associe étroitement un univers à notre échelle à celui, moins visible, de la mare. Comment avez-vous relevé ce défi logistique ?
Claude : Nous avons tourné sur une période de trois ans et demi pendant le printemps et l’été. Nous avons reconstitué une mare dans un aquarium géant pour les tritons et les créatures du fond de l’eau. Obtenir des eaux troubles, de la vase, des choses en suspension qui captent la lumière en contrejour demande du temps. Nous avons filmé en 35 mm et utilisé tout un arsenal de caméras et de systèmes de prise de vues télécommandés, endoscopiques pour obtenir les plans que nous cherchions.
Marie : Nous tournions chaque jour de 9h30 à 19 heures avec un assistant. Nous n’aurions pas pu avoir des images de qualité si nous n’avions pas tourné certaines scènes en aquarium. Effectivement, ce film associe deux mondes aux échelles très différentes, mais que nous avons réunis physiquement dans quelques visions plus oniriques, comme lorsque la petite fille entre dans le coquelicot ou que les deux enfants se promènent sous l’eau dans ce que nous appelons « la séquence du mystère des profondeurs ».
Et pour les scènes spécifiques avec les enfants ?
Claude : Nous avons eu un tournage à part de huit semaines avec un directeur de la photo car assurer la mise en scène, superviser les images et les enfants, c’était trop lourd pour nous. Nous sommes alors passés à une équipe de vingt-cinq, ce qui est très inhabituel pour nous. Nous avons demandé à la production une équipe réduite au maximum, surtout pour éviter de perturber les enfants, Simon Delagnes et Lindsey Henocque, qui n’avaient jamais joué. C’était un défi pour eux.
Comment avez-vous trouvé cette mare idéale ?
Marie : L’univers des mares nous fascine depuis toujours. En nous basant sur les cartes IGN, nous sommes allés voir toutes celles des alentours. Nous avons cherché de préférence dans notre région, mais nous étions prêts à aller plus loin. Pourtant, nous n’avons pas trouvé celle du film nous-mêmes. Pascal Arnaud, un garde d’environnement et depuis peu notre ami, l’a découverte sur le Larzac. Ce fut un coup de foudre ! Cette mare était idéale car toutes les espèces de batraciens y vivent. L’endroit concentrait tout, même les oiseaux. C’est d’une richesse incroyable et ça nous offrait à la fois le décor et les animaux. Il a par contre fallu agir vite car elle s’assèche en été avec la chaleur.
Vous approchez aussi la nature par un biais ludique. D’où vous viennent ces surprenants petits bricolages que les enfants réalisent ?
Claude : J’ai des souvenirs d’enfance de jouets confectionnés à partir d’éléments de la nature. Pendant des années, je me disais que lorsque la vie m’en laisserait le temps, j’utiliserais des glands pour faire des personnages. Avoir le temps de faire des petits objets avec les éléments naturels, c’est aussi le paradis pour moi ! Évidemment, je n’en ai jamais eu le loisir.
C’est ludique et en même temps d’une réelle beauté. On trouve un simple bâton recourbé qui peut devenir une magnifique figure de proue. Les enfants ont le sens de cela, ils savent parfaitement sélectionner ce qu’ils ramassent pour le transformer. Dans ces petits jeux, il y a un réel côté électif.
L’ambiance sonore de votre film est aussi essentielle. Comment l’avez-vous définie ?
Marie : C’est toujours l’association de l’enfance et de l’imaginaire. Jean Goudier nous a proposé les klaxons, les petits embouteillages pour la scène des araignées d’eau. Pour le plan très serein avec des coques de noix comme des petits bateaux, Jean nous a suggéré ce son de sifflet de la marine anglaise et des grincements de carcasse de navire. Un enfant voit une coquille de noix et il est déjà sur un galion qui traverse l’océan.
Claude : Le dosage de ces éléments est primordial. Il faut savoir s’arrêter à temps, sinon on va trop loin dans le descriptif et on ne laisse plus de place à l’imaginaire. Ce sont vraiment des éléments susurrés à l’oreille du spectateur, qui capte le son sans en prendre conscience. À partir de ce son, il construit une sorte de scène imaginaire.
Pour la musique, vous avez à nouveau fait appel à Bruno Coulais…
Marie : C’était vraiment un film pour lui, c’est un poète. Nous avons terminé le tournage et avant de commencer le montage nous lui avons projeté tous les rushes. Il a entamé ensuite la musique au fur et à mesure que nous montions le film.
Claude : Il a une relation très spontanée à l’enfance, dont le chemin lui est immédiat et évident. Nous avons eu la chance de rencontrer Bruno tôt dans notre travail.
Bruno est attentif à ce que la musique ne fasse pas irruption dans le film. Elle apparaît souvent mêlée. Le son et la musique devaient être faits en harmonie, en parfaite entente. Bruno a su rendre la musique évocatrice dans une orchestration très aérienne, presque diaphane.
Comment avez-vous choisi Denis Podalydès pour la voix off ?
Marie : Claude a écrit le texte et nous nous sommes longtemps demandé qui pourrait être cette voix. Nous avons fait des essais et réalisé une maquette. Le timbre de Claude est très beau mais cela n’était pas suffisant, il fallait un ton précis. C’est un véritable travail d’acteur. Nous avons très vite pensé à Denis pour l’émotion qu’il sait mettre sans forcer.
Claude : Je n’arrivais pas à avoir la distance pour travailler objectivement. Seuls les acteurs professionnels peuvent y parvenir. Travailler avec la voix de Denis m’a en quelque sorte soulagé. Nous l’avons choisi pour son talent, mais aussi parce que sa voix est un peu particulière. Bien qu’ayant une voix d’homme, on y trouve encore quelque chose de juvénile. Il le dit lui-même. Son timbre était le lien parfait entre l’enfant que l’on voit et l’adulte qui se souvient.
Qu’espérez-vous apporter au public avec ce film?
Claude : Nous souhaitons avant tout exprimer quelque chose d’intime. Notre travail consiste à ne pas trahir le caractère propre de cette intimité. Nous parions aussi sur le fait qu’elle puisse être partagée. Nous ne choisissons pas au hasard ce sentiment de nature, de l’enfance, de la solitude ressentie puis partagée. Nous avons pensé que tout cela pouvait peut-être activer l’imaginaire, le souvenir et l’expérience du spectateur – quelque chose d’à la fois heureux et fragile.
Marie : Nous ressentons profondément cet univers et nous espérons que d’autres pourront s’y reconnaître. Nous désirons apporter du plaisir, un certain bonheur, la surprise aussi : celle de découvrir ou de retrouver le chemin qui mène au plus profond de soi.