Synopsis
Avril 1988, Île d’Ouvéa, Nouvelle-Calédonie. 30 gendarmes sont retenus en otage par un groupe d’indépendantistes kanak. 300 militaires sont envoyés depuis la France pour rétablir l’ordre. Deux hommes se font face : Philippe Legorjus, capitaine du GIGN et Alphonse Dianou, chef des preneurs d’otages.
À travers des valeurs communes, ils vont tenter de faire triompher le dialogue. Mais en pleine période d’élection présidentielle, lorsque les enjeux sont politiques, l’ordre n’est pas toujours dicté par la morale. Une épopée violente et trouble qui marque le retour de Mathieu Kassovitz devant et derrière la caméra.
Equipe & Casting
Réalisateur : Mathieu Kassovitz
Scénario : Benoît Jaubert, Mathieu Kassovitz, Pierre Geller
Avec : Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas, Malik Zidi, Alexandre Steiger, Philippe Torreton, Sylvie Testud, Patrick Fierry, Jean-Philippe Puymartin, Stefan Godin, Aladin Reibel, Olivier Rousset, Marc Robert, Simon-Pierre Boireau, Armel Cessa, Serge Dupuy
Programmation & Présentation
Présentation et discussion avec Philippe Torreton, acteur
Saturday, March 31 – 3:30 p.m at the Byrd Theater ~ 2h16 ~ Parental Guidance
Plus d’informations
Choisissez une photo pour voir la filmographie (source : IMDB)
Comment avez-vous été amené à vous intéresser aux événements d’Ouvéa et au personnage de Philippe Legorjus ?
Il y a treize ans, mon père m’a donné à lire le livre Enquête sur Ouvéa, qui racontait, minute par minute, les événements d’Ouvéa. Bien sûr, je me souvenais un peu de ce qu’il s’était passé – j’avais 18 ans à l’époque. Je me rappelais de ce qu’on avait dit à la télé, que les Kanaks avaient massacré des gendarmes à la machette avant d’en prendre d’autres en otage. Des hommes ont été décapités, des femmes violées… Je me souvenais de ce qu’avait dit Chirac, Premier Ministre à l’époque : que c’étaient des êtres humains qui ne méritaient pas d’être traités comme tels… Dans ce livre, j’ai découvert une toute autre histoire. C’était le compte rendu d’une enquête qui affirmait qu’il y avait eu des exactions qui avaient conduit à la mort de dix-neuf Kanaks.
Tout au long de cette incroyable histoire, un personnage revenait sans cesse : le capitaine Philippe Legorjus, officier du GIGN envoyé sur place pour négocier avec les preneurs d’otage et qui s’est retrouvé pris dans les filets des militaires et des politiques. Quelque temps plus tard, sur le tournage des Rivières pourpres, l’un des acteurs, Olivier Rousset m’explique qu’il a vécu six mois en Nouvelle-Calédonie, en 89. Il était en contact direct avec les gens ayant vécu les événements d’Ouvéa. Il me raconte comment il s’est pris d’une grande passion pour ce pays et pour ses habitants. Je lui ai alors demandé de m’organiser un voyage et de me faire rencontrer des Kanaks.
Y êtes-vous allé avec déjà l’idée d’en faire un film ?
Oui, je savais qu’il y avait une incroyable histoire à exploiter et que le scénario était virtuellement écrit. Lors de ce premier voyage, en 2001, nous n’avons pas parlé du film. Je voulais savoir à qui j’avais affaire. Je me demandais comment monter un tel film et s’il était possible de le faire là-bas.
À l’époque, dix ans s’étaient écoulés depuis les événements mais les gens étaient toujours renfermés dans leur propre douleur. Les 19 morts étaient membres de tribus, de familles toutes reliées entre elles d’une façon ou d’une autre. Olivier m’a fait rencontrer Mathias Waneux (figure importante de l’Ile d’Ouvéa, chef coutumier Kanak, élu de la Province des îles et chef d’entreprise) qui joue aussi dans le film. Il nous a hébergés lorsque nous étions là-bas et nous a guidés dans la « coutume ». Il a plaidé notre cause auprès des différents camps. Mathias nous a prévenus que c’était peut-être trop tôt et qu’il faudrait probablement attendre encore dix ans avant de pouvoir en faire un film. En rentrant, j’ai commencé à travailler sur un scénario. Les cinq années qui ont suivi, j’y suis retourné plusieurs fois pour me documenter et pour mesurer les possibilités que nous avions de pouvoir faire le film. À chaque fois, nous avons dû suivre ce qui est au cœur de la culture kanak : la « coutume ».
Comment définiriez-vous la « coutume » ?
La « coutume » est une discussion qui se termine par un accord tacite qui doit être tenu car il se fait les yeux dans les yeux. La société kanake est fondée sur l’échange de la parole. Nous avons fait tout ce travail avec Olivier. On nous a dit : « Vous pouvez faire le film si tout le monde est d’accord. » Nous leur avons demandé ce qu’ils entendaient par « tout le monde » et ils ont répondu « toutes les familles des victimes ainsi que tous ceux qui font partie de la coutume et qui ont donc leur mot à dire. » Nous nous sommes ainsi retrouvés plusieurs fois devant quarante personnes à expliquer ce que nous voulions faire et pourquoi nous voulions le faire. Ce qui ne me facilitait pas la tâche, c’est que dès le début, j’ai voulu raconter cette histoire du point de vue de Philippe Legorjus, que beaucoup de Kanaks considèrent comme un traître puisque, justement, il n’a pas tenu – ou pas pu tenir – sa parole.
Pourquoi cette volonté de passer par le regard de Legorjus ?
Parce qu’il est le fil rouge de toute cette affaire. Parce qu’il a vécu humainement quelque chose de difficile, d’intense. À l’époque, je ne l’avais pas encore rencontré mais j’avais lu son livre La morale et l’action qui montre tellement bien comment une véritable confiance s’est nouée entre lui et le leader des preneurs d’otages, Alphonse Dianou, et comment il a dû le trahir malgré lui… C’est du Shakespeare ! C’est à travers les yeux de Legorjus que nous allions découvrir le problème politique et humain. Je l’expliquais aux Kanaks pendant la coutume et ils me disaient : « Oui, mais c’est un traître. » Je leur répondais que le but du film n’était pas d’en faire un héros, ni un traître d’ailleurs, mais simplement de raconter ce qu’il avait vécu… Au cours de ces coutumes, on avait souvent affaire à des gens très méfiants envers les blancs, envers les métropolitains. Des jeunes de 25 ans, qui avaient 5 ans quand leur père ou leur oncle ont été tués et qui vivent avec ce souvenir-là. Le souvenir de leur corps gisant sur le sol avec une balle dans le corps. Et c’est d’autant plus terrible que personne n’en parle, qu’il y a un énorme point d’interrogation sur ce qui s’est réellement passé. Certains nous reprochaient de vouloir rouvrir les plaies, et nous, on essayait de leur expliquer que c’était peut-être au contraire une manière pour eux de cicatriser.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous touche le plus dans cette histoire ?
Les relations qui se nouent entre cet officier du GIGN et ce jeune leader indépendantiste. La rencontre de deux personnalités qui se comprennent tout de suite. Ils ont tous les deux les mêmes ambitions et les mêmes besoins de justice. Le GIGN, ce n’est pas n’importe quel corps d’armée. Ce sont des hommes qui ont une philosophie, une éthique. S’il y a un mort lors d’une opération ou d’un assaut, ils considèrent que c’est un échec. Legorjus a voulu être moine, il s’est battu en mai 68 contre des unités CRS auxquelles il a ensuite appartenu. Alphonse Dianou a lui aussi voulu être prêtre, il a fait sept ans d’études théologiques, et ensuite, il s’est investi dans un combat dont il ne voulait pas forcément mais qu’il a embrassé complètement, jusqu’au sacrifice. C’est passionnant d’avoir affaire à des personnages à la fois aussi contradictoires et aussi proches. Ce qui me touche en premier, c’est l’aventure humaine. Et immédiatement après, la terrible injustice de toute cette histoire. Toute la problématique politique qui s’est révélée au fur et à mesure que j’avançais dans l’histoire est passionnante. Comment des politiques sont-ils prêts à sacrifier des otages pour servir leurs propres intérêts ? Et puis, il y a dans cette histoire une universalité qui me subjugue. La façon dont on pille les richesses d’une population en leur imposant des règles, des lois qui ne peuvent pas fonctionner chez eux. Avec, par-dessus tout cela, la pression, l’enjeu du deuxième tour d’une élection présidentielle !
Quel était le plus difficile dans l’écriture du scénario ?
Vous avez deux heures pour raconter dix jours d’une histoire extrêmement complexe aussi bien au niveau historique que culturel, social, militaire et politique… C’était cela le vrai challenge. Et ça nous a pris énormément de temps pour y parvenir… Je pense qu’au bout du compte, j’aurai rédigé vingt-cinq versions du scénario !
Vous n’avez pas impliqué Philippe Legorjus dans le processus d’écriture ?
Non, je ne l’ai même rencontré qu’une fois le projet bien enclenché. Mais par la suite, je lui ai rapidement fait lire les premières versions du scénario. J’avais besoin qu’il me donne son avis sur la direction que nous avions prise ainsi que les corrections à apporter. Je savais à quel point cette histoire lui tenait à cœur. Ces dix jours l’ont marqué à jamais. Peu de temps après, il s’est mis en réserve de la gendarmerie puis il a quitté l’armée. Il est très respectueux de son armée mais il nourrit aujourd’hui encore une profonde aversion envers la lâcheté des politiques. Ça m’a surpris mais aussi… rassuré !
Et vous avez aussi fait lire le scénario aux Kanaks ?
Oui, nous avons fait le même travail avec les Kanaks. Mais quand vous arrivez dans un village où tous ceux qui n’ont jamais vu de script veulent lire le vôtre et que dès la page 2 qui commence par « Legorjus se réveille chez lui », on vous dit : « Mais qu’est-ce qu’on fait chez Legorjus ? », vous vous dites que vous n’êtes pas au bout de vos peines ! En même temps, ce qui a été important pendant toute cette période-là, c’est que cela a permis des retrouvailles. De nombreux Kanaks, dont Mathias Waneux était un peu le porte-parole, ont eu besoin d’expier ce qu’il s’est passé et de rencontrer les familles de gendarmes. C’est un travail qu’eux seuls pouvaient faire et ils ont vu à travers ce projet l’opportunité de les rencontrer et de rencontrer Legorjus. Pour lui aussi, c’était important de les retrouver, de leur expliquer son comportement. C’était essentiel – y compris pour que le film puisse se faire – que ces gens-là arrivent à communiquer pour essayer de faire la paix avec leurs propres angoisses et fantômes. Pendant cinq ans, nous avons effectué un travail de fou. À tous les niveaux.
Avez-vous dès le départ envisagé de jouer vous-même Philippe Legorjus ?
Non, j’ai d’abord cherché des acteurs mais je me suis vite rendu compte que cela allait être long et compliqué de faire le film. On ne cessait de passer du « Oui on peut le faire » au « Non, on ne peut pas le faire ». Je ne pouvais donc pas bloquer un acteur sans être sûr de tourner au final et du coup remettre en jeu à chaque fois le financement du film. Mais surtout, très rapidement, j’ai réalisé que, vis-à-vis de mes interlocuteurs, c’était la meilleure preuve de mon implication totale dans le projet.
Qu’est-ce qui était le plus compliqué pour vous en tant qu’acteur ?
Le vrai Legorjus est un professionnel qui ne se laisse pas aller aux émotions car elles pourraient obstruer son jugement. Avant de le rencontrer j’avais imaginé un personnage beaucoup plus romantique et cinématographique, mais son professionnalisme est en fait devenu l’axe central du film, tant du point de vue de la réalisation que de celui du jeu. Ça m’a permis d’effacer son jugement personnel de l’histoire que je racontais pour laisser l’Histoire avec un grand H prendre le dessus. Ce n’est pas SON histoire, il est juste notre guide.
En dehors de vous, Sylvie Testud, Philippe Torreton et Malik Zidi, il y a peu de visages connus parmi les acteurs.
Mon problème était de trouver qui allait jouer Alphonse Dianou. En métropole, il y a, je crois, cinq acteurs kanaks répertoriés dont quatre étaient impossibles à envisager en raison de leur âge. On s’est posé la question de savoir si on allait tourner avec des Africains ou des Antillais mais très vite, on a écarté cette option. Nous pouvions changer d’endroit mais on ne pouvait pas ne pas le faire avec des Kanaks. Pour le rôle d’Alphonse, je cherchais dans les villages, je cherchais à Nouméa, je cherchais partout. En même temps, je savais qu’une fois trouvé, ce Kanak allait se retrouver dans une situation périlleuse. Aurait-il le droit légitime de jouer Alphonse s’il ne faisait pas partie de la famille ? Est-ce que sa tribu accepterait ? Est-ce que sa famille accepterait ? Il ne fallait pas juste trouver un bon acteur… Et puis, mon directeur de casting est tombé sur Iabe Lapacas, un Kanak qui vit aujourd’hui en métropole et qui fait des études d’avocat. Il se trouve qu’en plus, c’est un cousin d’Alphonse Dianou… Il a accepté après avoir demandé l’autorisation à sa famille et il a assumé son choix. L’unique travail que j’ai fait avec Iabe, c’est de lui apprendre les bases du travail d’acteur : la respiration, le placement de la voix, le rythme… Le reste s’est fait tout seul. Et il en a été de même avec Philippe de Jacquelin Dulphé, qui joue le Général Vidal et qui, lui, est un vrai militaire, un ancien colonel. Lui aussi est arrivé avec l’envie de raconter certaines choses sur les militaires. Quand je réfléchissais au casting, je me disais : « Il va y avoir un Kanak qui n’a jamais fait de cinéma pour jouer Alphonse, il sera entouré d’une trentaine de gars qui n’auront jamais fait de cinéma non plus, et en face d’eux qu’est-ce que je mets ? Des comédiens connus, de vrais acteurs ? » Je suis plutôt allé chercher du côté des anciens militaires, des légionnaires, des hommes du GIGN, dont certains vivaient sur place, et puis je les ai mélangés à de vrais comédiens. Cela mettait tout le monde un peu en danger.
Avez-vous travaillé avec le GIGN ?
Non, le GIGN n’a pas pu s’impliquer directement dans le film mais nous avons travaillé avec d’anciens membres qui sont aujourd’hui conseillers pour le cinéma et qui nous ont fait faire un vrai stage d’entraînement pendant une semaine. Cela a soudé le groupe tout en cassant un peu les égos. La plupart ont vraiment joué le jeu. C’était difficile pour eux parce que le tournage était quand même assez tendu. Il y avait d’un côté ceux qui jouaient les types du GIGN et de l’autre, des Kanaks dont les parents avaient été tués par des militaires.
Il y a dans L’Ordre et la morale un souffle, une puissance dans la mise en scène, un sens du cinéma que l’on est content de vous voir retrouver.
Le sens du cinéma va avec le sujet qui l’accompagne. Et aussi avec la bonne production, en l’occurrence Nord-Ouest, car ça influe énormément sur la façon dont un film se fait. Au départ, quand on devait tourner en Nouvelle-Calédonie et que le budget du tournage se réduisait au fil de nos dépenses, j’ai envisagé avec mon chef opérateur Marc Koninckx de faire un film plutôt tourné à l’épaule, assez guérilla et reportage, peu découpé, où la caméra est au cœur de l’action comme dans Bloody Sunday de Paul Greengrass. J’ai d’ailleurs conservé ce principe pour l’attaque de la gendarmerie et pour l’assaut de la grotte… Lorsque nous avons délocalisé le tournage, la donne a changé. On n’avait plus la même pression puisque nous étions dans un territoire neutre. Je me suis alors dit qu’on pouvait tourner un film plus installé, un peu plus posé, plus structuré, plus mis en scène, ce qui me correspond davantage.
Avec ce film, vous renouez avec un certain cinéma engagé. Est-ce que cela vous a manqué ces dernières années ?
Ce n’est pas que cela m’a manqué puisque ça fait dix ans que je travaille sur ce projet ! Si tout s’était passé comme je le voulais, j’aurais réalisé ce film en 2004 ! Mais quand le projet s’est arrêté, il a fallu que je trouve un film à faire. Je suis d’abord tombé sur Gothika, puis sur Babylon A.D. que j’ai mis cinq ans à monter… Et puis, on m’a proposé de beaux rôles en tant qu’acteur, dans Amen ou dans Munich – qui sont d’ailleurs aussi des films engagés.
Le livre de Philippe Legorjus s’appelle La Morale et l’action et votre film L’Ordre et la morale… Pourquoi ?
Pour Philippe, la morale et l’action résument sa vie, ce sont les grands principes de son parcours. L’Ordre et la morale, c’est vraiment le sujet du film. Peut-on concilier les deux? Et comment ? Ce titre peut se lire à plusieurs niveaux. Cela va de la phrase du Général Vidal qui dit : « Vous allez suivre les ordres même s’ils vont à l’encontre de votre morale personnelle » à celle que je fais dire à Bernard Pons : « On va rétablir l’ordre et la morale. » Comme si c’était la même chose…
Il y a dans L’Ordre et la morale une utilisation singulière de la musique et notamment lors des séquences finales où elle renforce l’aspect dramatique de l’assaut.
La musique dans les films m’a toujours posé des questions particulières. J’ai tendance à me méfier des réalisateurs qui en mettent trop. C’est tellement facile de manipuler les spectateurs avec la musique… J’ai toujours pensé que s’il y avait de la musique à un endroit, il fallait que ce soit justifié et qu’elle soit juste. Lorsque je pensais filmer L’Ordre et la morale à la manière d’un reportage, j’avais même envisagé de ne pas en mettre du tout mais quand j’ai décidé d’une mise en scène plus installée, plus composée, j’ai vite compris que je ne pourrais pas m’en passer. Pas question pour autant de mettre des violons sur les gros plans de Legorjus pour forcer l’émotion. Je suis allé chercher Klaus Badelt qui a notamment travaillé avec Hanz Zimmer sur le film de Terrence Malick et je lui ai aussi parlé d’une musique que j’aime beaucoup, celle de Full Metal Jacket, une musique militaire un peu dissonante. Je lui ai également parlé de cet autre fantasme que j’ai, comme réalisateur, et que j’essaie de concrétiser à chaque fois que je peux : celui de mettre sur les cinq ou dix dernières minutes un thème qui part doucement et monte en crescendo jusqu’à la fin du film, à la manière du Boléro de Ravel ou de Carmina Burana. Pour que cette montée en puissance soit encore plus forte, plus dramatique, je ne voulais pas d’instruments classiques. Nous avons alors fait appel aux Tambours du Bronx qui ont interprété cette musique à leur manière. Comme un roulement de tambour militaire mais sur des caissons de métal, et qui, du coup, ressemble à un bruit de char.
Quand et comment avez-vous entendu parler du projet de Mathieu Kassovitz sur les événements d’Ouvéa ?
Il y a trois ou quatre ans parce qu’on en parlait beaucoup dans les médias locaux, en Nouvelle-Calédonie. Pour moi, tout a commencé fin avril 2010. J’étais en pleine période d’examen. Je reçois un coup de fil : « Bonjour, je m’appelle David Bertrand, je suis directeur de casting sur L’Ordre et la morale de Mathieu Kassovitz… ». J’allais raccrocher lorsqu’il enchaîne : « Non, non, ne raccrochez pas, c’est Jean Boisserie qui m’a donné votre nom et votre numéro ». Jean Boisserie, c’est un « grand frère » comédien. Il est du pays, comme moi, mais est ici depuis les années 60. David lui a raconté qu’il était en quête de quelqu’un pour le rôle d’Alphonse Dianou et Jean a pensé à moi, sans même savoir mon lien de parenté avec Alphonse. Il lui a dit : « Appelle-le, mais dis-lui bien tout de suite que tu appelles de ma part, sinon il ne t’écoutera pas. »
Qu’est-ce qui vous a plu ou touché dans le scénario ?
J’ai trouvé qu’il était très bien écrit. C’est la première fois que je lisais un scénario de cinéma et j’ai été surpris de visualiser l’histoire alors que je lisais. J’ai compris l’axe choisi par Mathieu, de suivre Legorjus avec en contre-point la parole canaque, du moins des indépendantistes. Si le scénario ne m’avait pas plu, je ne l’aurais pas fait.
Vous étiez très jeune au moment de ces événements. Quels souvenirs en gardez-vous ?
En 88, j’avais 6 ans. J’ai donc peu de souvenirs directs. En plus, il faut savoir qu’on en parle peu chez nous. Nous en parlons sans vraiment en parler, comme si d’une certaine façon, nos parents voulaient nous préserver. C’était quand même une tragédie, un événement très complexe du point de vue politique.
Comment Mathieu Kassovitz vous a-t-il convaincu ?
C’est tout le cheminement qu’il avait fait au pays avec Olivier Rousset. S’il ne l’avait pas fait, je ne sais pas si j’aurais accepté. Pour réaliser un tel film, il y avait un chemin à suivre et il l’avait suivi. Là où le génie de Mathieu s’est exprimé, c’est de réussir à rendre intelligible et compréhensible une histoire complexe. Et puis ce qui m’a convaincu aussi, c’est le fait qu’il ose parler de l’affaire de la grotte d’Ouvéa. Parler de cette affaire, c’est parler des événements, et parler des événements, c’est aussi parler de la lutte du peuple canaque face au système colonial français de l’époque.
Une fois que vous avez été choisi et que vous avez accepté, vous êtes-vous documenté sur Alphonse Dianou ?
Ces informations sont venues un peu toutes seules à moi. Olivier Rousset est rentré du pays et m’en a parlé, et Tantine Patou (la sœur d’Alphonse Dianou) lui avait d’ailleurs donné un courrier pour moi. Je l’ai appelée, elle m’a sensibilisé, motivé aussi, comme font les mamans chez nous. J’ai pu me nourrir de ça. Je me suis nourri aussi des gens qui l’ont connu, ceux qui étaient avec lui dans la grotte.
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez Alphonse Dianou, maintenant que vous savez mieux qui il était et que vous l’avez interprété ?
Son engagement inconditionnel qui rejoignait aussi un peu ce qu’ont pu m’enseigner mes parents : travailler avec amour, avec respect, avec humilité. Alphonse, c’est un homme de foi comme Legorjus, c’est pour ça qu’ils se sont bien trouvés. Ils ont tous les deux failli entrer dans les ordres. L’un a choisi d’être militaire et l’autre de s’investir en politique.
Ça vous donne envie de continuer ?
Pourquoi pas ? Ça dépendra des rôles mais des Kassovitz, il n’y en a pas deux ! Mathieu est un bon réalisateur, il laisse les gens prendre leur temps, prendre la mesure de leur travail – Enfin, surtout ses acteurs. Avec les techniciens c’est une autre paire de manches ! [Rires]. Il fait confiance et du coup, il vous met en confiance et il vous donne la foi.
Qu’aimeriez-vous que les spectateurs retiennent du film ?
Déjà j’aimerais qu’ils retiennent le sens de la lutte du peuple canaque pour son indépendance. Et puis aussi que cela rappelle aux politiques leurs responsabilités parce que trop souvent, ils se défaussent. La politique devrait être là pour éviter que les gens n’en viennent à régler leurs conflits en appliquant la loi du talion ou la loi du plus fort.
Né en 1951, Philippe Legorjus a fait des études de droit à l’Université de Caen. Passionné de théologie et de philosophie, engagé dans le mouvement de Mai 68, rien ne semblait le destiner à une carrière militaire. Et pourtant, il rejoint la Gendarmerie en 1979, puis le GIGN en 1982 dont il en prend la direction en 1985. Il a été projeté au premier plan de l’actualité par les événements dramatiques d’Ouvéa.
Quand avez-vous entendu parler du projet de Mathieu Kassovitz ?
En 2004 ou 2005, quand Mathieu m’a contacté. Il avait lu mon livre La Morale et l’action et il m’a dit qu’il voulait en faire un film. Nous nous sommes rencontrés et nous avons de suite bien accroché mais je dois dire qu’au départ, j’étais assez réticent à l’idée de transposer sous forme cinématographique ce que j’avais écrit en 1990.
Pourquoi ?
Les événements d’Ouvéa ne représentent qu’une partie du livre. C’était pour moi une manière de tourner la page. Et effectivement, c’est ce que j’ai fait. Je suis passé d’un monde militaire à la vie civile. J’ai eu besoin de marquer ce tournant par quelque chose de concret : voilà pourquoi j’ai fait le livre. L’éditeur m’avait parlé des droits pour une possible adaptation audiovisuelle et je m’étais toujours dit que si cela devait se faire, ça ne pouvait pas faire l’objet d’un film d’action tel qu’en font les Américains. Au début des années 2000, Mathieu déboule et m’en parle d’une manière très attachante. Surtout, à ce moment-là, il rentrait d’un séjour à Ouvéa où il avait été sentir lui-même les choses sur place. Cette démarche-là m’a parue digne d’intérêt, et nous avons commencé à discuter.
Avez-vous été surpris lorsqu’il vous a annoncé qu’il allait lui-même jouer votre rôle ?
Oui et non. Au début, il m’avait parlé d’acteurs qu’il envisageait. En même temps, lorsqu’il s’est vraiment emparé du scénario et qu’il est devenu quasiment le seul maître d’œuvre de l’histoire, cela m’a paru logique qu’il aille jusqu’au bout de sa démarche en interprétant aussi mon personnage. J’ai trouvé ça bien parce que je ne sais pas combien d’heures nous avons passé ensemble et c’est clair qu’il est, dans le milieu cinématographique, celui qui me connaît le mieux et qui était donc le plus à même de jouer mon rôle. À l’inverse de tout ce que l’on voit dans son cinéma aujourd’hui, c’est un acteur qui a une simplicité et une épuration fabuleuses dans le jeu. Il est toujours juste, il ne surjoue jamais.
Comment expliquez-vous son désir de faire un film sur ce sujet-là ?
C’est encore un mystère pour moi. Je crois que son premier séjour en terre canaque l’a beaucoup marqué, il n’avait aucune idée du mode de vie des Mélanésiens et ça l’a touché. Et puis, je pense qu’il a été interpellé par l’histoire elle-même, par ce décalage qu’il peut y avoir entre des êtres humains, même militaires, même exerçant des activités de force, et une sorte d’autorité soit disant supérieure qui avance comme un rouleau compresseur au mépris de l’humain. Son côté rebelle y a forcément trouvé écho.
En quoi est-ce important pour vous qu’un film comme celui-ci existe aujourd’hui ?
C’est important parce que la faiblesse caractérielle du monde politique français, disons depuis la mort de de Gaulle, l’empêche de revenir sur les événements de son Histoire d’une manière propre et apte à éclairer les générations suivantes. C’est mieux de sortir des actes négatifs qui ont été commis par le haut plutôt que par le bas, à savoir le silence ou la caricature. Il est donc important de revenir sur ces points de l’histoire, pas juste pour l’avenir mais aussi pour le présent.
Lorsque vous avez vu la scène de l’assaut, quel a été votre sentiment ?
C’est très fort et assez juste mais paradoxalement ce sont les scènes qui m’ont le moins impressionné dans le film. J’ai été beaucoup plus touché par la justesse des rapports entre Legorjus (pardon de parler à la troisième personne) et Alphonse Dianou. Et aussi par l’atmosphère et l’ambiance qui règnent dans le village canaque, c’est si proche de la réalité.