Synopsis
Le film raconte le calvaire d’Alain Marécaux – « l’huissier » de l’affaire d’Outreau – arrêté en 2001 avec sa femme pour d’horribles actes de pédophilies qu’ils n’ont jamais commis. C’est l’histoire de la descente aux enfers d’un innocent confronté à un système judiciaire incroyablement injuste et inhumain, l’histoire de sa vie et de celle de ses proches ruinées par une des plus importantes erreurs judiciaires de notre époque.
Equipe & Casting
Réalisateur : Vincent Garenq
Scénario : Vincent Garenq
Avec : Philippe Torreton, Noémie Lvovsky, Wladimir Yordanoff, Raphaël Ferret, Michèle Goddet, Farida Ouchani, Olivier Claverie, Jean-Pierre Bagot, Sarah Lecarpentier
Programmation & Présentation
Présentation et discussion avec Vincent Garenq, réalisateur & Philippe Torreton, acteur
Friday, March 30 – 7:00 p.m at the Byrd Theater ~ 1h42 ~ Parental Guidance
Plus d’informations
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Connaissiez-vous bien l’affaire d’Outreau ?
Seulement superficiellement. C’est en lisant le journal écrit par Alain Marécaux en détention que je l’ai réellement découverte et ce fut un choc ! Dans ce livre, on comprend la mesure des incohérences et des absurdités de cette affaire. Ce récit m’a véritablement bouleversé et révolté. En faisant ce film, j’ai voulu transmettre au spectateur ce sentiment d’indignation et de colère que j’avais ressenti à ma première lecture.
Comment avez-vous eu l’idée d’en tirer une adaptation ?
Dès la lecture du livre, j’ai eu l’impression de voir un film se dérouler sous mes yeux. Et avec un tel ouvrage, on n’hésite pas plus de deux secondes sur la nécessité d’en faire un film : il s’impose de lui-même. Il ne s’agit donc pas d’un film sur Outreau mais d’un film sur Alain Marécaux, pris dans l’affaire d’Outreau. Ce qui est tout à fait différent.
Quelle a été votre démarche dans l’adaptation ?
J’ai commencé par prendre contact avec Alain Marécaux en lui disant que je ne pourrais pas adapter son histoire sans lui pour deux raisons. La première était qu’il me semblait fondamental qu’après avoir été trahi par la justice, il ne fallait pas qu’il se sente trahi une seconde fois avec le film. La seconde était qu’il y avait des lacunes dans le livre que lui seul pouvait m’aider à combler. C’est ainsi qu’il m’a accompagné tout au long du scénario et de la fabrication du film.
Vous êtes-vous livré à un important travail de documentation ?
Au départ, je comptais sur Alain pour me raconter le contenu des entretiens avec le juge Burgaud, mais il ne s’en souvenait plus, sans doute à cause du refoulement et du traumatisme causé par cette affaire. C’est plus tard, en épluchant le dossier d’instruction que j’ai pris connaissance des procès-verbaux des fameux interrogatoires avec Fabrice Burgaud.
Y a-t-il des passages qui relèvent de la fiction ?
Non, parce que le récit d’Alain était suffisamment fort pour qu’il soit inutile d’en rajouter. Et puis, ce n’aurait pas été moralement acceptable, il fallait coller au plus près de la réalité, nous n’avions pas le choix. Alain lui-même ne le souhaitait pas, c’était sa seule condition : qu’on ne raconte pas n’importe quoi au prétexte de faire du cinéma, et nous étions complètement en phase là-dessus.
Dès les premières images, le spectateur se range du côté d’Alain Marécaux. Comment avez-vous obtenu cette empathie absolue pour le protagoniste ?
C’est l’histoire d’Alain qui provoque cette empathie : comment ne pas s’identifier à un être humain accusé à tort ? Comment ne pas se sentir concerné par le destin d’un homme dont la femme est également arrêtée et dont les enfants se voient placés dans des foyers ? C’est la folie, la noirceur et la cruauté de cette histoire qui nous ont tous inspirés, tant pour l’interprétation que la mise en scène, la recherche des décors, le travail sur la lumière ou les costumes.
Quels étaient vos partis pris pour la mise en scène ?
Je souhaitais un style assez brut, donner l’impression que les choses se déroulaient devant la caméra de façon abrupte, non apprêtée et mise en scène. Et en même temps, je souhaitais que le film nous procure un vrai plaisir cinématographique et visuel. Il y avait donc un dosage à trouver entre cinéma et documentaire. Il y avait un refus radical d’une lumière trop léchée et maîtrisée. Souvent, la lumière venait juste des néons qu’il y avait dans le décor qui, lui aussi d’ailleurs, était au plus près de la réalité.
Aviez-vous le nom de Torreton en tête en amont du projet ?
Pour moi, la question de l’acteur ne peut se poser que quand le scénario est terminé. Pour un rôle comme celui-ci, qui exigeait que l’interprète perde beaucoup de poids, nous savions que ce serait autant l’acteur qui nous choisirait que nous… Et je me souviens que quand Philippe m’a appelé après avoir lu le scénario, j’ai immédiatement senti, au timbre de sa voix, que c’était lui : il était très ému et fragilisé, il était déjà dans le rôle. Plus tard, quand je lui ai posé la question embarrassante relative au poids qu’il comptait perdre, il m’a répondu sans hésitation : « Comme Alain, 40 kilos ! ». Je lui ai répondu qu’il était fou, qu’il allait mourir ! Je sais de façon indirecte qu’il a beaucoup souffert du régime drastique qui lui a permis de perdre ces 27 kilos, mais il ne m’en a jamais rien dit. La seule intention de jeu que je lui ai donnée, c’est d’essayer de ne pas « jouer » un personnage, mais de « l’être ».
Les médias eux-mêmes ont leur part de responsabilité dans cette affaire. Comment souhaitiez-vous aborder cette question ?
Hors de question de fabriquer de fausses actualités, évidemment ! On a donc utilisé d’authentiques archives de journaux télévisés. Autant dire que lorsqu’on voit ces actualités à la télé du point de vue d’Alain, on se rend compte que les médias ont contribué à accréditer l’idée que les prévenus étaient vraiment pédophiles. D’ailleurs, certains journalistes qui ont réalisé ces sujets ont refusé de réenregistrer leurs voix pour les besoins du film : ils ont aussi demandé à ce qu’on change leurs noms, tant ils avaient rétrospectivement honte de leurs reportages. Elise Lucet a été bien plus courageuse et a accepté de réenregistrer pour nous de faux noms de journalistes, et je tiens encore à la remercier. Très peu de journalistes avaient réalisé leur propre enquête : la plupart s’étaient contentés de la version de l’accusation. Au début du procès de Saint-Omer, l’immense majorité d’entre eux étaient convaincus de venir assister au procès d’un réseau de pédophiles et c’est au cours du procès qu’ils se sont aperçus de leur erreur.
Vous avez fait le choix de ne pas utiliser de musique dans le film. Cela s’est-il imposé d’emblée ?
Dès l’écriture du scénario, je pensais qu’il n’y aurait pas de musique, mais je ne voulais pas me couper de l’imaginaire et de l’apport d’un compositeur, en l’occurrence Klaus Badelt. J’ai aussi demandé au monteur de ne pas utiliser de musiques provisoires – comme c’est souvent l’usage – car je voulais que le film tienne sans. Puis, dans l’intervalle de temps où nous avons interrompu le tournage pour que Philippe Torreton maigrisse, nous avons monté les 70 premières minutes du film. Et tout ceux qui ont visionné ce montage nous ont dit spontanément, sans qu’on leur pose la question, qu’il fallait continuer comme ça et ne surtout pas utiliser de musique dans le film ! Klaus Badelt non plus ne voyait pas où en mettre.
Comment s’est passée votre rencontre avec Vincent Garenq ?
Quand j’ai rencontré Vincent Garenq, après avoir lu le scénario, je lui ai dit que nous (les acteurs) étions là pour dénicher ce genre de rôle. Pour moi, cela allait bien au-delà du cinéma : c’était comme un cri que je me sentais obligé de pousser à la place de quelqu’un.
C’est la première fois que vous incarnez un personnage réel. Qu’est-ce que cela change ?
Au départ, je m’étais dit que c’était une chance : si j’avais un doute, je pouvais me tourner vers Alain Marécaux et l’interroger. D’ailleurs, après l’avoir rencontré, il m’a dit que je pouvais le contacter quand je voulais. Mais au final, je ne l’ai pas fait. Sans doute parce que je ne m’en sentais pas le droit : je n’avais pas l’impudeur de lui demander, par exemple, à quel moment il avait craqué ou pleuré, etc. Tout ce que je devais savoir était contenu dans le scénario.
Du coup, comment avez-vous travaillé le rôle ?
Je me suis isolé de tout le monde. Je sentais que c’était à moi, et à moi seul, de « craquer » et que personne ne pouvait m’aider – même pas Vincent Garenq. Personne ne peut aider un acteur à aborder ce type de personnage et de registre émotionnel. Ma seule obsession était d’être juste : je me demandais quelle tête on a quand on va en prison pour la première fois ou quand on se fait déshabiller dans une petite pièce où les flics vous fouillent à corps sans ménagement, surtout quand on ne l’a pas vécu.
De même, vous ne vous êtes pas spécialement documenté sur l’affaire d’Outreau ?
Je n’en avais pas besoin. Je n’avais que deux bibles : le livre d’Alain Marécaux et le scénario, validé par ses soins. Même si j’étais devenu spécialiste de l’affaire, cela ne m’aurait pas aidé dans mon travail d’acteur. Ce n’est pas un film sur l’affaire d’Outreau : c’est un film sur trois ans de cauchemar vécus par Alain Marécaux.
Vous avez accepté de perdre 27 kilos pour les besoins du rôle, et votre métamorphose est proprement vertigineuse. Comment l’avez-vous vécue ?
Je suis allé voir un nutritionniste qui m’a dit qu’il ne cautionnait pas ce régime parce que j’avais trop de poids à perdre en trop peu de temps. Je me suis donc débrouillé tout seul, en m’astreignant à un régime des plus draconiens et en perdant 300 grammes par jour. Avec le recul, je crois que je suis entré dans une phase dépressive : j’ai passé toute cette période dans les larmes, l’isolement, l’hébétude, et le désir de mort.
Comment la production a-t-elle accueilli votre détermination ?
La production a envisagé de faire appel à une doublure pour les scènes où j’étais censé être le plus maigre, mais je préférais éviter cette option. Et effectivement, quand Vincent Garenq est venu me voir dans la cabine de maquillage, très peu de temps avant la deuxième partie du tournage, il m’a dit qu’il allait téléphoner à la doublure pour lui dire qu’on n’en avait pas besoin.
Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment du tournage ?
Comme j’étais constamment menotté et qu’on me prenait sans cesse sous les aisselles pour me balloter dans un fourgon ou dans une voiture, j’ai tourné le film dans un état de fragilité permanente. Je me souviens que, quand j’étais totalement amaigri, le seul contact de la main de la maquilleuse sur mon épaule et les poils de son pinceau sur ma joue me faisaient pleurer.
Ressort-on totalement indemne d’une telle expérience ?
Quand j’y repense, j’ai souvent les larmes aux yeux. Ce que je me dis, c’est que ce film m’a permis de rencontrer un type formidable – Alain Marécaux – et un metteur en scène passionnant. Et pour moi, en tant qu’acteur, c’est la première fois qu’on m’a proposé un rôle qui ait trait à l’abandon : mon personnage est un homme qui n’a plus de repères, qui est coincé dans son drame et sa prison, et qui perd espoir. C’est en cela que c’est un film sur l’abandon.
Comment Alain Marécaux a-t-il réagi après vous avoir vu à l’écran ?
Il m’a dit que cela lui faisait bizarre de voir quelqu’un endosser sa douleur et d’avoir l’impression qu’il s’agissait d’une sorte de passage de relais. Je pense que c’est vrai – mais seulement d’un point de vue symbolique. Je me souviens aussi de la marraine d’Alain qui n’était pas enchantée à l’idée qu’un acteur joue son filleul. Après avoir vu le film, elle m’a dit une des plus belles choses que j’aie jamais entendues : « Je sais maintenant à quoi sert le métier d’acteur. »
Pensez-vous que le film puisse éveiller les consciences ?
Si j’en crois des amis avocats qui l’ont vu, ce film devrait être projeté dans le cadre de formations juridiques. Ce que j’espère surtout, c’est que les spectateurs se rendront compte de la fragilité du témoignage humain. Et de la fragilité de l’homme.
Quels sont les dysfonctionnements profonds mis en lumière par l’affaire d’Outreau ?
Outreau est le mauvais cas d’école par excellence qui a démontré que toutes les règles fondamentales du droit ont été bafouées et inversées. En France, alors qu’on bénéficie normalement de la présomption d’innocence, Outreau a montré que lorsqu’on est entraîné dans une affaire judiciaire, la présomption de culpabilité prime sur tout le reste. D’autre part, l’affaire dite d’Outreau a bafoué un principe fondamental de notre droit qui est que la liberté est le principe et la mise en détention provisoire l’exception : hormis Karine Duchochois, nous avons tous été incarcérés!
Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’affaire d’Outreau?
Je vivais dans une petite commune du Pas-de-Calais, à une trentaine de kilomètres d’Outreau. Lorsque les services sociaux ont constaté que le couple Badaoui-Delay était incestueux, trois de leurs enfants ont été placés dans des familles d’accueil de la commune où se trouvait mon étude et scolarisés dans la même école que mon fils aîné. Malheureusement pour moi, l’un de mes fils est devenu le meilleur ami d’un des garçons de Myriam Badaoui : quand ce dernier s’est mis à désigner ceux qui participaient aux attouchements et aux viols, il a cité ses voisins de palier, des voisins de la cité de la Tour du Renard, les commerçants du quartier, et les parents de sa meilleure amie et de son meilleur copain, et voilà comment mon nom a été cité. Or, lorsque le juge Burgaud demande à Myriam Badaoui s’il y a un huissier de justice parmi les personnes citées, elle répond oui et elle mélange les noms et prénoms de deux huissiers à qui elle avait réglé une dette. Burgaud lui explique alors qu’elle se trompe car les enfants disent que ce sont les Marécaux. Et Myriam d’acquiescer. Voilà comment, sur la foi des accusations d’un petit garçon et des confirmations de sa maman, on vient me chercher à 6h30, un matin de novembre, et comment ma femme, mes enfants et moi entrons dans l’affaire d’Outreau.
À votre avis, qui, à l’origine, porte la responsabilité d’Outreau ?
Au départ, Outreau, c’est un couple incestueux qui abusait de ses enfants et qui a fait participer à ses exactions un couple de voisins – David Delplanque et Aurélie Grenon. À partir de cette affaire d’inceste, où quatre enfants ont été abusés, le juge Burgaud a inventé toute une histoire. C’est pour cela que je dis souvent que le couple infernal dans cette affaire, ce n’est pas Myriam Badaoui et Thierry Delay, mais Fabrice Burgaud et Myriam Badaoui. À eux deux, ils ont inventé Outreau. À eux deux, ils ont inventé un réseau. À eux deux, ils ont été à l’origine de ce tsunami judiciaire. Je crois même que Myriam Badaoui était comme amoureuse de Fabrice Burgaud : elle a d’ailleurs déclaré que, pour la première fois de sa vie, un homme était à son écoute. De son côté, Burgaud trouvait chez elle une personne qui acquiesçait à tout ce qu’il suggérait : dès qu’il voulait avoir une confirmation, il la faisait sortir de prison pour entendre ce qu’il désirait entendre.
Comment expliquer qu’aucun de ceux qui, en dehors du juge Burgaud, ont examiné les pièces de l’affaire, n’en aient repéré les énormes failles ?
C’est ce que j’ai souvent qualifié de paresse intellectuelle chez le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer et chez les magistrats de la Cour d’Appel de Douai : ils se sont toujours contentés de ce qui avait été fait en amont. C’est ainsi que le procureur de la République a entériné l’enquête menée par Burgaud, et que la chambre de l’instruction a, elle aussi, validé le travail des deux précédents juges. Il aurait suffi d’ouvrir le dossier et d’avoir un minimum de bon sens pour comprendre que le dossier était vide et qu’on avait emprisonné des innocents.
Et les psychologues ?
Ils ont considéré Myriam Badaoui crédible. Par ailleurs, aucun des psychiatres qui ont examiné les prévenus dont je faisais partie n’a décelé chez nous les traits d’abuseur sexuel. Mais l’expert psychologue a retrouvé chez 11 des prévenus – dont moi – les traits d’abuseur sexuel, c’est-à-dire l’égocentrisme et l’immaturité affective. Concernant les enfants, on en est aussi arrivés à des aberrations de ce genre. Par exemple, une psychologue nous a expliqué qu’un enfant pouvait avoir été abusé parce qu’il avait dessiné une araignée coloriée en rouge ! Avant Outreau, on partait du principe que l’enfant mentait. Avec Outreau, on a sacralisé la parole de l’enfant. Il faudrait parvenir à un système plus juste où l’on considère que l’enfant peut mentir.
Pourquoi le juge des libertés et de la détention a-t-il systématiquement suivi les demandes de Burgaud de vous laisser en détention ?
Le pouvoir de mettre un prévenu en détention appartenait autrefois au juge d’instruction : on a voulu limiter ce pouvoir en créant le juge des libertés et de la détention qu’on peut surtout, à mon avis, appeler le juge de la détention. Ce magistrat prend connaissance du dossier 10 minutes environ avant la comparution de la personne devant lui : comment voulez-vous qu’il connaisse le dossier ?
Qu’est-ce qui vous faisait reprendre espoir quand vous étiez en prison ?
Ma mise en détention a été marquée par différentes périodes. Au tout début, j’avais beaucoup d’espoir parce que j’étais convaincu qu’on allait me libérer rapidement. Lorsque, au bout de huit mois d’emprisonnement, je constate que ma situation perdure, je fais une tentative de suicide par absorption médicamenteuse. Quand je me retrouve hospitalisé, je reprends espoir car ma femme a été libérée. Mais ma situation ne change pas et je m’enferme dans la panoplie du détenu modèle car je me disais que j’étais là pour 20 ans ! J’ai alors suivi des cours, fréquenté la bibliothèque, assisté à la réflexion biblique. Puis, au bout d’un an et demi, je me suis dit que je ne pourrais jamais tenir. J’ai alors décidé d’arrêter de m’alimenter, non plus pour protester mais pour mourir. J’ai été transporté à l’hôpital-prison de Fresnes dont j’ai été libéré au bout de 98 jours sans m’alimenter, passant de 97 à 48 kilos !
Quels garde-fous pourrait-on mettre en place pour éviter un nouvel « Outreau » ?
Je crois qu’une réforme de la magistrature est nécessaire. Car lorsqu’on choisit d’être magistrat, ce n’est pas seulement un métier où l’on est censé appliquer des textes de loi, mais où il faut aussi savoir qu’on a en face de soi des êtres humains et que les décisions influent sur la vie des gens et de leurs proches.
Qu’avez-vous pensé de la Commission d’enquête parlementaire ?
La Commission d’enquête parlementaire est un élément de ma reconstruction, comme l’ont été la publication de mon livre Chronique de mon erreur judiciaire, ma renaissance professionnelle en redevenant huissier de Justice, et maintenant le film Présumé coupable. Ce qui était effroyable, c’était de voir le regard effaré des députés qui, tout à coup, se demandaient comment on avait pu incarcérer des innocents, en dépit des lois. La Commission a fait naître un véritable espoir, mais il n’en est malheureusement rien ressorti de concret, si ce n’est la réformette Clément. Du coup, d’autres « Outreau » risquent de se produire à l’avenir. Une partie de l’opinion publique continue de croire que certains des acquittés d’Outreau ont malgré tout une part de responsabilité dans cette affaire… Présumé coupable n’a pas l’ambition de traiter de l’affaire d’Outreau, mais a la volonté de faire réfléchir et de montrer comment, en France, un individu qui avait une vie rangée et qui ne demandait rien à personne a vu son existence basculer du jour au lendemain.
Pensez-vous que les médias ont aussi leur part de responsabilité ?
Absolument. Quand on lit les premiers articles de presse et qu’on voit les reportages de novembre 2001, c’est effroyable : notre culpabilité y est avérée. Ce que je reproche aux journalistes, c’est de ne pas avoir mené un travail d’investigation et de s’être contentés de reprendre les fuites volontaires du Parquet, de la police et des avocats des parties civiles.
Croyez-vous encore en la justice ?
Oui, puisque je suis huissier de Justice et que l’institution judiciaire est un pilier de notre démocratie : je pense vraiment que Fabrice Burgaud est une exception dans sa profession et que la plupart de ses collègues font leur travail avec intégrité et humanité. Lorsqu’Outreau s’est terminé pour moi, j’avais d’ailleurs envie de devenir magistrat. Mais on m’en a dissuadé. Avec le recul, j’ai sans doute eu raison de suivre ces conseils car le corps de la magistrature m’aurait toujours fait sentir que je ne faisais pas partie des siens.
Éprouvez-vous encore de la haine pour Fabrice Burgaud ?
J’en ai eu pendant un moment, mais très vite, elle s’est transformée en colère. Je suis protestant réformé et ma foi m’a beaucoup aidé pendant ces quatre ans de cauchemar – Outreau est, pour moi, un accident de la vie qui m’a plongé dans un profond coma. Du coup, j’ai rapidement pardonné à ce petit garçon qui m’a accusé et si, par la suite, j’ai réussi à pardonner à Myriam Badaoui, je n’ai jamais réussi à pardonner à Fabrice Burgaud. Mais il ne m’y aide pas car il n’a jamais demandé pardon et ne s’est même pas excusé.
Dans quel état d’esprit étiez-vous en écrivant Chronique de mon erreur judiciaire ?
À l’origine, c’était un carnet de chevet que je remplissais tous les jours lors de mon incarcération et que j’ai continué pendant le procès de Saint-Omer. Mais je n’avais jamais imaginé que ces notes deviendraient un jour un livre. Et Flammarion a eu le courage d’éditer quelqu’un qui avait été condamné par une cour d’Assises. Ce livre m’a fait beaucoup de bien. Aujourd’hui, je continue à écrire puisque je veux ajouter quelques chapitres au livre, qui s’arrêtait à Saint-Omer.
Comment avez-vous accueilli la démarche de Vincent Garenq et Christophe Rossignon quand ils vous ont approché ?
J’ai d’abord reçu un courrier de Flammarion pour m’informer de leurs intentions, mais, au départ, cette idée ne me plaisait pas. Quand j’ai rencontré Vincent, et que nous avons longuement discuté, mes a priori ont changés : j’ai découvert un réalisateur qui avait compris ma souffrance et qui savait que ce film ne pouvait pas être une fiction. Dans un deuxième temps, j’ai fait la connaissance de Christophe Rossignon qui a scellé le projet. Je me souviendrai toujours de ce qu’il m’a dit : « Tu as un droit de vie ou de mort sur ce film. » Je pouvais donc lui dire qu’on arrêtait le tournage du jour au lendemain parce que je ne m’y retrouvais pas. C’est exceptionnel. J’avais aussi demandé à Vincent et Christophe que mes fils travaillent sur le film : ils s’y sont engagés et ont tenu parole. Grâce à eux, je franchis une nouvelle étape dans ma reconstruction et je positive sur Outreau.
Racontez-moi votre rencontre avec Philippe Torreton.
Quand Vincent Garenq a rencontré Philippe Torreton, il m’a appelé pour me dire qu’il avait trouvé quelqu’un qui était déjà dans mon personnage. Quand j’ai fait la connaissance de Philippe, le courant est tout de suite passé entre nous. J’ai compris qu’il voulait coller au personnage et, surtout, ne pas trahir ma souffrance. J’ai eu raison puisqu’il a totalement tenu parole. Il a même poussé la perfection jusqu’à perdre 27 kilos.
Qu’avez-vous ressenti, sur le plateau, en voyant votre calvaire « incarné » par des comédiens ?
Cela m’a aidé dans la mesure où je voyais que je n’étais plus seul à porter ma souffrance. Et même si c’était un acteur, il jouait tellement bien que j’ai eu l’impression de partager ce fardeau. Certaines scènes ont été très dures pour moi : lorsque Philippe apprend le décès de sa mère, j’ai été très ébranlé car je n’ai toujours pas fait son deuil. Malgré tout, même si c’était parfois difficile, c’était une joie de venir sur le tournage et de voir l’exigence de Vincent, derrière sa caméra, ou de Philippe dans mon rôle.
Quel peut être l’impact d’un tel film sur l’opinion publique ?
Je voudrais que le film puisse atteindre un public que le livre n’avait pas touché et qu’on puisse montrer l’état de la justice et des prisons en France. Le cauchemar d’Outreau a démarré le 14 novembre 2001 ; le 14 novembre 2011, je refermerai ce chapitre définitivement et ce sera, pour moi, une avancée importante avant l’ultime étape : le pardon à Burgaud.