Synopsis
Claire, jeune juge au tribunal de Lyon, rencontre Stéphane, juge chevronné et désenchanté, qu’elle entraîne dans son combat contre le surendettement. Quelque chose où se mêlent révolte et sentiments naît entre eux. Et surtout, l’urgence de vivre.
Equipe & Casting
Réalisteur : Philippe Lioret
Scénario : Philippe Lioret et Emmanuel Courcol
Avec : Vincent Lindon, Marie Gillain, Amandine Dewasmes, Yannick Rénier
Programmation & Présentation
Présentation et discussion avec Philippe Lioret, réalisateur
Sunday, April 1 – 2:15 p.m at the Byrd Theater ~ 2h00 ~ General Audience
Plus d’informations
Choisissez une photo pour voir la filmographie (source : IMDB)
Comment est né Toutes nos envies ?
Quand j’ai lu le livre d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, j’ai été impressionné et bouleversé. Comme je connaissais Emmanuel, je l’ai appelé pour lui dire à quel point son livre m’avait touché, puis nous avons évoqué une éventuelle adaptation au cinéma et sommes tombés d’accord qu’elle était impossible. D’abord parce que la réussite du livre tenait plus aux commentaires et aphorismes de l’auteur qu’à l’histoire elle-même. Et surtout parce que le livre d’Emmanuel était autobiographique, que tous les personnages, proches d’Emmanuel, existaient, et qu’il n’était pas question de les incarner. Nous en sommes donc restés là. Le temps a passé. J’ai oublié le livre, mais son thème me revenait sans cesse. Quelques mois plus tard, pour la sortie de Welcome, l’idée de la transposition m’est venue : changer les personnages, en inventer d’autres et ne rien garder du livre si ce n’est l’esprit qui me plaisait tant et quelques mots clés : deux juges (un homme et une femme, mais différents), le surendettement et l’urgence due à ce mal violent qui frappe l’un d’eux (encore qu’il s’agisse déjà là d’une transposition du livre). Ne pas l’adapter, mais s’en inspirer librement. J’ai alors appelé Emmanuel pour lui en parler et il m’a donné son accord pour cette « trahison ». Puis, avec Emmanuel Courcol, mon complice d’écriture, nous avons écrit le scénario en six mois, sans rouvrir le livre.
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Je crois que c’était d’explorer ces moments de confusion où tout s’entrechoque, où les gens se révèlent. Qu’est-on prêt à faire et jusqu’où est-on prêt à aller quand survient l’inattendu d’une situation extrême ? Devant un contexte particulier, les gens changent de priorité, tissent des liens que personne ne pouvait soupçonner et, souvent, se surpassent.
De quelles « envies » parlez-vous finalement ?
Un jour, j’ai lu sur un prospectus proposant un crédit à la consommation cette invitation cynique : « Cédez à toutes vos envies ». Ces envies, c’étaient bien sûr toutes ces tentations que l’argent vous permet d’assouvir, mais dans le cas de Stéphane et Claire, le double sens m’intéressait. J’aime beaucoup les mots « envie » et « désir », ils décident de tout. On est tous capables de tout grâce à eux, quelquefois même ils redéfinissent nos vies.
Le film dénonce aussi les abus du crédit à la consommation…
J’imagine le jour de sa naissance à celui-là… Sûrement une réunion de banquiers inquiets de voir leurs profits stagner devant l’encadrement sévère du crédit et le manque à gagner que ça leur occasionnait. Et puis, au bout de la table, l’un d’eux a soudain dit : « Mais pour les petites sommes, il n’est pas encadré, le crédit… On pourrait créer des filiales qui proposeraient aux gens de leur prêter plusieurs fois des petites sommes… à des taux élevés, bien sûr. » Aujourd’hui, des offres alléchantes jetées dans les boîtes aux lettres ou sur Internet par les sociétés de crédit à la consommation poussent des milliers de gens aux revenus modestes dans le piège de l’argent facile. Souvent tentés par cette folie consommatrice qui nous titille tous et alléchés par ces offres douteuses, les plus vulnérables se retrouvent vite dans l’engrenage des impayés et du surendettement. Il faut savoir que le pourcentage d’impayés ne dépasse pas 3% (ce qui, rien qu’en France, représente quand même près de 8 millions de personnes) et qu’il est largement compensé par les taux d’intérêt prohibitifs qu’appliquent ces sociétés de crédit à ceux qui payent. Pourtant, ces boîtes ne peuvent pas se permettre de laisser ces mauvais payeurs impunis car ce serait inciter les autres à faire pareil. Alors, pour ceux-là – principalement des chômeurs –, le combat juridique est perdu d’avance et ils se retrouvent dans des situations effrayantes. À moins qu’un juge d’instance n’ose s’interposer et trouve un biais pour enrayer cette loi du plus fort et ce mécanisme pervers d’enrichissement des banques. C’est aussi ce combat-là qui m’a plu dans le livre d’Emmanuel.
Comment définissez-vous la relation de Claire et Stéphane ? C’est de l’amour ?
La relation intime qui surgit entre eux n’est pas souvent traitée. Elle fait pourtant partie de notre quotidien, d’une rencontre, souvent professionnelle, qu’on est amené à faire. Basée sur la connivence, elle débouche souvent, entre un homme et une femme, sur une forme étrange d’amour-amitié. Leur relation à eux est faite de complicité professionnelle, d’une forme d’amour où l’image du père n’est pas loin, et de désir aussi. C’est une histoire sur la pluralité de l’amour. Bien qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans leur relation, il y en a pourtant une dans le regard des autres. Et il y en aura probablement aussi dans celui du spectateur qui vivra cette rencontre par rapport à sa propre vie et à ses questions.
Comment avez-vous approché le film ?
J’aime le cinéma, j’aime y raconter une histoire, et cette histoire j’ai envie d’y croire. Alors il faut qu’elle soit d’un réalisme absolu, donc que la part de fiction ne se voie pas. Mais par ailleurs, la construction du récit doit être suffisamment prenante pour que la dramaturgie opère et que le spectateur soit tenu en haleine, ce qui est le rôle du scénario. Sur le plateau, mon seul souci c’est, encore une fois, qu’on ne voie pas le film se faire. Qu’on « n’entende pas les dialogues », ni qu’on sente les mouvements de caméra ou le travail de la déco, ni bien sûr celui des acteurs… Juste « qu’on y soit », qu’on partage les sensations, ce sont elles qui priment. C’est aussi pour ça qu’il m’est si difficile de parler de mes films, d’en expliquer les « pourquoi » et les « comment ». On en vient vite à « faire des phrases ». Alors que je prends bien garde en faisant les films à ce qu’ils n’en fassent pas.
C’est votre deuxième film avec Vincent Lindon ?
Le tournage de Welcome a été, avec lui, un moment de choix comme je n’en ai jamais vécu avec un acteur. C’est quelqu’un de très impliqué, de très à l’écoute, et par ailleurs, il est très instinctif et amical. Très vite on s’est compris, particulièrement sur les détails qui composent le personnage. On était tous les deux intuitivement tendus vers le même résultat. Grâce à cette intimité entre nous, j’ai pu aller beaucoup plus loin que d’habitude et tout ça a débouché sur des rapports sains et une amitié solide. Devant la caméra, j’aime son charisme, son côté animal. C’est donc tout naturellement qu’une fois Welcome terminé, on a scellé un pacte tacite : refaire un film ensemble.
Et Marie Gillain ?
Je ne cherchais pas une actrice, je cherchais Claire. J’ai rencontré un nombre impressionnant de comédiennes susceptibles de l’incarner, et certaines furent très convaincantes, mais je butais toujours sur la nature profonde du personnage que je ne retrouvais pas totalement chez elles. Comme je n’avais pas encore envisagé Marie, elle s’est bagarrée pour venir faire une lecture, durant laquelle j’ai senti chez elle une détermination qui m’a beaucoup plu. Mais il lui fallait aussi « lâcher prise » pour incarner Claire. Alors, elle est revenue tourner des essais. Et là, en lui donnant la réplique, j’ai senti que derrière son engagement affleuraient la fragilité et la grâce que je cherchais. Claire, c’était elle. Marie est non seulement une actrice étonnante, mais c’est aussi une très belle personne, pleine de pudeur et de malice. Elle apporte énormément au film et c’est quelqu’un dont je me sens aujourd’hui très proche.
Après Je vais bien, ne t’en fais pas et Welcome, comment s’inscrit Toutes nos envies dans votre filmographie ?
C’est la première fois que je produis entièrement l’un de mes films, ça a donc été un peu différent. Mais grâce au soutien sans faille de mes complices, je n’ai pas ressenti ça comme une charge supplémentaire. Sinon, je ne sais pas… Comme une suite logique, finalement. Dans Toutes nos envies, il est question de détermination, d’engagement, d’amour… Je découvre qu’une même thématique est présente en filigrane dans mes films : celle de la force d’une rencontre qui nous aide à nous dépasser nous-mêmes. Celui-ci montre des gens qui s’unissent contre l’absurdité du monde et qui, dans l’urgence, font bouger les choses. Alors ça m’intéresse.
Qu’est-ce qui vous a amené à tourner Toutes nos envies ?
Philippe m’a envoyé le scénario. Dès que j’ai eu fini de le lire, j’ai laissé un message sur son répondeur : ton récit m’a bouleversé, j’ai envie d’être Stéphane. Voilà, c’est aussi simple que ça. Parce que c’est d’une force, d’une violence et d’une tendresse infinie. Ce que j’aime avec Philippe, c’est qu’il aborde des sujets de société en parlant au cœur plutôt qu’à la tête. Et quand le cœur est touché, il fonce.
Qu’est-ce qui vous a ému dans ce récit ?
Tout. Par exemple, cette façon héroïque et chevaleresque avec laquelle Stéphane fait croire à Claire qu’elle a trouvé la solution juridique à leur combat. Alors que c’est lui qui lui en donne la clé. Ce don me paraît d’une générosité et d’une beauté inouïe.
Comment avez-vous abordé le personnage de Stéphane ?
Stéphane, dans un sens, c’est un peu Robin des Bois. Mais après avoir lu et relu un scénario, je ne réfléchis plus trop à la psychologie du personnage. Je plonge dedans, c’est instinctif. Et pour qu’il sonne juste, je m’attache à faire corps avec lui : comment bouger, comment porter mes fringues…
Existe-t-il une continuité entre Stéphane et Simon, votre personnage dans Welcome ?
C’est toujours le récit de personnes qui font quelque chose pour quelqu’un, d’une façon ou d’une autre. Et les deux histoires racontent la rédemption d’un homme désabusé par le feu qui surgit de sa rencontre avec quelqu’un. Avec le temps, l’engagement de Stéphane a faibli. Grâce à Claire, il y reprend goût. Mais Stéphane n’est pas Simon. Pour entrer dans la peau d’un juge qui retrouve la foi dans son métier et se remet dans l’action au lieu de raccrocher les gants, je suis bien sûr sorti du personnage un peu paumé de Simon dans Welcome.
C’est aussi votre façon de vous engager ?
Toutes nos envies peut faire bouger les choses sur le surendettement. Au même titre que Welcome l’a fait sur les migrants, ce film a des chances de quitter les pages Spectacles pour se retrouver dans les pages Société. Du coup, je me dis encore que je n’ai pas fait un film pour rien, et j’aime ça.
Comment s’est passée cette nouvelle collaboration avec Philippe Lioret ?
C’était un tournage lourd, sur onze semaines. Mais Philippe et moi, on se connaît très bien maintenant, alors ça s’est forcément bien passé. C’est quelqu’un de très exigeant, mais qui est aussi très à l’écoute. Je crois que tout le monde le sait déjà, tout ça. Ce qu’ils savent sans doute moins c’est qu’il a une autre qualité formidable : c’est un mec qui donne sa chance à beaucoup de gens. Et c’est une qualité très rare dans ce milieu.
Comment êtes-vous arrivée sur le tournage de Toutes nos envies ?
Philippe n’avait pas d’abord pensé à moi… Ce fut même un peu un combat pour avoir le rôle. J’avais dévoré le livre D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère. Et avant même de lire le scénario de Philippe, j’avais la conviction intime et profonde que dans ce récit, on parlait de moi. Alors j’ai insisté, en mettant mon orgueil dans ma poche. J’ai décroché une lecture, puis un essai. Je me suis accrochée, j’ai tout donné. Quand Philippe m’a choisie, il m’a dit : « Merci de ne pas avoir lâché Claire. Elle ne lâche rien non plus. »
Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario ?
Je l’ai reçu de plein fouet. Il m’a bouleversée. Philippe porte un regard si poignant sur cette femme de mon âge. Avec une écriture tellement belle, limpide, pudique et juste ! Lorsque vous avez trente ans et que vous lisez l’histoire de cette jeune juge qui vient de s’engager dans la vie et qui va disparaître dans quelques mois, laissant derrière elle l’homme qu’elle aime, ses enfants, cet autre homme qu’elle vient de rencontrer et sa passion pour son métier, c’est un miroir qui vous est tendu, comme une rencontre avec soi-même. C’est à l’évidence un appel.
S’agit-il d’un film charnière dans votre carrière ?
Je me suis clairement dit que je ne pouvais pas passer à côté de cette histoire-là. Les gens ont encore de moi l’image d’une jeune fille en fleur, dont on ne sait plus très bien ce qu’elle est devenue… Cette étiquette me collait à la peau. J’ai pourtant trente ans. C’est un instant décisif dans une vie d’actrice, celui où je devais basculer enfin vers un vrai rôle de femme. Et ces rôles-là sont rares… Il fallait donc trouver le bon projet et le bon metteur en scène, celui qui allait croire en moi pour incarner toute l’intimité d’un personnage en pleine maturité.
Comment vous êtes-vous appropriée le personnage de Claire ?
Avant le tournage, pour me préparer, je me suis baladée dans les tribunaux d’instance. J’ai accompagné les juges dans leur travail quotidien, face à des gens qui sont passés par des étapes d’humiliation et de désespoir inimaginables, qui viennent à la barre, devant vous, avec une anxiété et une fragilité extrêmes. Les juges m’ont expliqué qu’ils essayaient de les écouter en se mettant à leur place, avec empathie. Ce mot m’est resté. Claire fait tout pour laisser quelque chose de valable derrière elle, qui soit utile à ceux qu’elle aime. Son énergie et sa vitalité à faire bouger les choses sont plus fortes que tout, presque plus fort que la mort. Alors j’ai aussi pensé à cette petite phrase que ma maman m’avait glissé quand j’étais petite… Je voulais arrêter la danse classique. J’adorais ça, mais c’était trop exigeant. Elle m’avait donné une carte avec une danseuse dessus, sur laquelle elle avait écrit : « Qui ne veut rien faire trouve une excuse, qui veut faire quelque chose trouve un moyen.» C’est une phrase toute bête, mais quand on se la répète régulièrement, ça vous donne vraiment la niaque. Et ça, c’est toute la détermination de Claire.
Vous vous sentez proche de son combat ?
Bien sûr. Claire fait partie de ces juges grâce auxquels les gens se font un peu moins arnaquer, et il y en a. Mais c’est d’abord un film sur ce qu’on fait de sa vie. Et tout le monde ne peut que s’identifier à son combat personnel. Car l’échéance de la mort nous concerne tous. Que fait-on de sa vie quand on sait que l’on va partir si vite ? Claire refuse de s’écrouler. Elle fait ce qu’elle peut pour avancer et pour donner aux autres avec les moyens du bord. Quand on sort de ce film, on a envie de dire aux gens qu’on aime… qu’on les aime. Mais cette urgence soudaine, à aimer tout simplement, c’est le travail de toute une vie.
Comment s’est passé le travail avec Philippe Lioret ?
Un rôle comme celui de Claire exige une extrême précision à chaque instant. Pourquoi ce regard et pas un autre ? Pourquoi ce silence, ce sourire ? C’est un travail intense, mené bien sûr d’abord par Philippe de son côté, puis ensemble sur le tournage. Je trouvais parfois Claire un peu dure avec ses enfants. Nous en avons parlé. Toute la magie d’un tournage avec Philippe, c’est cette capacité d’écoute et de remise en cause. Il m’a expliqué pourquoi et j’ai compris, mais il a aussi imaginé et écrit cette scène magnifique où Claire vacille face à une question désarmante de sa fille : « On ira un jour en Afrique, Maman ? »