Martin est un ex-bobo parisien reconverti plus ou moins volontairement en boulanger d’un village normand. De ses ambitions de jeunesse, il lui reste une forte capacité d’imagination, et une passion toujours vive pour la grande littérature, celle de Gustave Flaubert en particulier. On devine son émoi lorsqu’un couple d’Anglais, aux noms étrangement familiers, vient s’installer dans une fermette du voisinage. Non seulement les nouveaux venus s’appellent Gemma et Charles Bovery, mais encore leurs comportements semblent être inspirés par les héros de Flaubert. Pour le créateur qui sommeille en Martin, l’occasion est trop belle de pétrir – outre sa farine quotidienne – le destin de personnages en chair et en os. Mais la jolie Gemma Bovery, elle, n’a pas lu ses classiques, et entend bien vivre sa propre vie…
Equipe & Casting
Réalisatrice • Anne Fontaine
Scénario • Anne Fontaine, Pascal Bonitzer
D’après la nouvelle de Posy Simmonds
Producteurs • Philippe Carcassonne, Matthieu Tarot
Avec :
Gemma Arterton, Fabrice Luchini, Jason Flemyng, Isabelle Candelier…
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Comment avez-vous découvert le roman graphique de Posy Simmonds ?
Je connaissais Posy Simmonds à travers Tamara Drewe, et j’ai tout de suite ressenti un a priori favorable pour un roman intitulé Gemma Bovery : le jeu de mot sur un archétype littéraire féminin détourné me semblait prometteur et ludique. Quand j’ai lu le roman, les personnages m’ont intriguée et touchée : j’ai senti leur potentiel comique et leur profondeur humaine, et j’ai été séduite par le ton de l’auteur, entre comédie féroce et formidable ironie. J’ai aussi été sensible à la rencontre improbable entre un boulanger et cette jeune Anglaise d’aujourd’hui qui va infléchir la vie du protagoniste, alors que celui-ci, convaincu que sa libido était sous contrôle, se croyait en préretraite sexuelle et affective ! Le voilà qui part en vrille sur le rapport entre un personnage de fiction – Emma Bovary – et Gemma Bovery. Ce côté fétichiste m’a semblé extrêmement séduisant pour un futur scénario. J’ai essayé d’être fidèle au livre, tout en prenant des libertés : chez Posy Simmonds, Joubert, le narrateur, intervient assez indirectement dans l’histoire, alors que dans le film, on lui a donné une incarnation et une mobilité plus grandes.
On pourrait croire que le personnage de Martin a été bâti sur mesure pour Fabrice Luchini…
Et pourtant, il a été imaginé par une Anglaise ! Mais quand j’ai lu le roman graphique, j’y ai immédiatement superposé Fabrice Luchini, pas seulement en tant qu’interprète, mais comme un être qui a Flaubert dans le sang, au plus profond de lui. Étant donné que je le connais bien, et que je l’ai si souvent entendu parler de Madame Bovary de manière incarnée, j’ai eu le sentiment que ce rôle n’attendait que lui. J’ai donc écrit le scénario en me disant qu’il y avait une probabilité assez forte pour que le personnage lui plaise, et pour qu’il soit touché, tout comme moi, par cet obsessionnel littéraire, menant une vie tranquille de boulanger jusqu’à ce qu’une rencontre fantasmée transforme sa propre réalité. C’était formidable d’avoir un acteur tel que Fabrice car il a le sens de la fantaisie et du décalage, mais aussi le plaisir et l’amour des mots – ce qui correspond au sujet même du film. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir un tel interprète parce que seul Fabrice pouvait faire passer cette obsession pour Madame Bovary comme quelque chose de tout à fait naturel. Le processus d’incarnation du protagoniste – et sa folie aussi – se concrétise dès qu’il prononce, avec sa manière inimitable, «Gemma Bovery». C’était d’autant plus important qu’il s’agit d’un personnage qui observe la vie des autres par une fenêtre, ce qui le place dans une position de voyeur qui projette des histoires. Comme je trouvais que le personnage était proche d’un metteur en scène, il y avait un lien souterrain très fort entre nous.
Comment le dirigez-vous ?
Avec lui, j’expérimente, et toujours de manière ludique. On cherche des tonalités, on va trop loin dans une direction, on fait plusieurs essais, puis on revient en arrière : il faut trouver le ton exact en se demandant jusqu’où on peut aller. Je ne le bloque jamais en lui imposant un cadre trop contraignant : on tourne neuf ou dix prises, et puis je lui dis «maintenant, oublie ce que je t’ai dit, et fais ce que tu veux». Mais ce qui compte avant tout, c’est la confiance absolue qui règne entre nous.
Avez-vous pensé à Gemma Arterton après avoir vu Tamara Drewe ?
J’avais vu Gemma dans Tamara Drewe et d’une certaine façon, je m’étais dit qu’à partir du moment où elle avait déjà incarné un personnage de Posy Simmonds, cela ne l’intéresserait pas. J’ai donc rencontré des actrices anglaises avec un objectif en tête : il fallait qu’elles soient sexy en parlant le français. Mais aucune parmi celles que j’ai rencontrées n’a provoqué chez moi une évidence. Finalement, j’ai rencontré Gemma, et dès qu’elle a ouvert la porte et qu’elle m’a lu un petit texte en français qu’elle avait écrit, j’ai compris que j’avais affaire à une bombe atomique : elle dégage une énergie qui fait qu’on ne peut pas ne pas l’aimer. Elle a une beauté chaleureuse et généreuse, qui ne vous met pas à distance, si bien que ses hésitations et ses allers-retours sont imputables à sa jeunesse et à sa fraîcheur, et pas à de la manipulation. Je n’ai même pas eu besoin de lui faire faire des essais : elle est venue trois mois en France pour s’immerger dans la culture locale avant de travailler le personnage. Pour éviter qu’elle ait un jeu trop figé en parlant le français – ce qui est un risque chez les acteurs qui apprennent une langue étrangère –, je lui ai demandé de bouger constamment et d’être dans l’action. Pour finir, elle est arrivée extrêmement préparée sur le plateau, en me disant que le personnage était proche d’elle.
C’est la deuxième fois que vous travaillez avec Anne Fontaine.
Et elle me met chaque fois en face de créatures ahurissantes : Louise Bourgoin dans La Fille de Monaco, et l’extraordinaire Gemma Arterton dans ce film. Anne est une cinéaste très originale, elle n’est jamais dans le pathos sociétal. Pour moi, à cause de l’abandon dont elle a fait preuve sur le plateau, de sa non volonté de maîtriser, Gemma Bovery est son meilleur film.
Votre première réaction en découvrant le scénario de Gemma Bovery ?
J’ai aimé sa singularité. Il ne s’agissait pas d’illustrer le Madame Bovary, de Flaubert. Mais de multiplier les allers-et-retours entre le roman et la fiction contemporaine. Faire passer Flaubert en contrebande, comme Molière dans Alceste à bicyclette. C’est la même démarche : on va chercher des textes et on les ressuscite dans une autre vie. Anne Fontaine – et d’une certaine façon Posy Simmonds dans sa BD – a eu le génie de ne pas aborder Flaubert de front. Elle prend le complet contrepied de l’adaptation de Chabrol.
Comment avez-vous préparé le personnage de Martin ?
Anne Fontaine voulait me faire faire un stage dans une boulangerie. J’ai pensé : « On est chez Stanislavski, là ! Il va falloir qu’elle prenne un autre acteur, parce que je ne vais pas passer quinze jours à regarder un mec en train de faire son pain ! » Anne s’est rangée à mon avis. Un grand technicien des chevaux auquel j’avais eu affaire sur le tournage de Perceval le Gallois, d’Éric Rohmer, m’a dit un jour : « La grande caractéristique des chevaux, c’est qu’à la seconde où ils découvrent la personne qui va les monter, ils savent si c’est ou non un bon cavalier. Si c’en est un mauvais, ils déterminent aussitôt l’instant précis où ils vont le faire tomber. Mais Gérard Philippe était un tellement bon acteur qu’il a réussi à leur faire croire qu’il montait bien à cheval ». Très modestement, j’ai réussi à faire croire que j’étais un bon boulanger.
Gemma Arterton irradie littéralement dans le rôle de Gemma.
Cette fille est sublime, c’est une actrice exceptionnelle. Elle a cette perfection et ce génie que possèdent les comédiens anglo-saxons. Durant deux mois, elle et moi avons peu parlé, pourtant elle a très bien compris qui j’étais. Lorsque nous entendions « Moteur », nous étions comme deux inconscients qui se comprenaient, s’aimaient et se respectaient.
Qu’est-ce qui vous a séduite dans ce projet ?
Je dois reconnaître que lorsque j’ai reçu le scénario au départ, je n’étais pas sûre de vouloir participer à ce projet, parce que j’avais déjà tourné dans Tamara Drewe, autre adaptation de Posy Simmonds. Le ton était proche, mais la protagoniste était très différente et il y avait quelque chose chez elle qui me séduisait davantage : je me suis plus reconnue en Gemma qu’en Tamara. Par ailleurs, l’histoire se déroule en France, et la perspective d’apprendre le français me plaisait. Sans oublier le fait qu’Anne Fontaine est une réalisatrice d’une grande sensibilité, et que j’avais vraiment envie de tourner sous sa direction.
Est-ce que l’héroïne de Flaubert, Emma Bovary, vous a aidée à mieux cerner votre personnage ?
Absolument. Cela m’a permis de cerner l’identité même du personnage – le désœuvrement – car Madame Bovary n’a pas grand-chose à faire dans sa vie, et que Gemma est une Madame Bovary d’aujourd’hui. Ce qui m’a également servie, ce sont les paysages, la société et les traditions dépeints dans le livre, que l’on retrouve encore en Normandie à l’heure actuelle. Cela correspond à l’idée romantique de la Normandie que se font les Anglais, et c’est très exactement dans cet état d’esprit que Gemma et Charles débarquent dans la région.
Comment vous êtes-vous préparée au rôle ?
Comme j’ai dû apprendre le français, je me suis installée à Paris quelques mois avant le début du tournage : je flippais parce que je ne parlais pas un mot de la langue ! Je me suis un peu immergée dans la culture locale et je me souviens qu’Anne me répétait sans cesse : «Tu es semblable au personnage !» D’une certaine façon, elle avait raison : c’était conforme à Gemma puisqu’elle était censée être plongée dans une culture qui n’était pas la sienne, et se sentir comme une étrangère. Par la suite, je me suis rendue en Bretagne pendant quelques semaines pour parfaire mon apprentissage du français. Et je suis aussi sortie avec des Français, je suis allée à des concerts avec eux, etc., et c’était en soi une forme de préparation.
C’est la première fois que vous tournez avec une équipe française…
J’ai adoré cette expérience car il y a ici un immense respect pour le cinéma. Tous les techniciens excellaient chacun dans leur domaine, et notre chef-opérateur était formidable. Pour tout le monde, le plus important consistait à raconter l’histoire du mieux possible.
Dossier de presse “Gemma Bovery”
Français ~ 20 pages ~ 3,5 Mo ~ pdf