Présentation et discussion avec Pierre-William Glenn, directeur de la photographie et Rémy Julienne, coordinateur de cascades
Dans la Nuit américaine, Truffaut répond à la question qui intrigue tout amateur de cinéma: comment fait-on un film? La Nuit américaine a pour sujet le tournage d’un film et comporte deux scénarios imbriqués l’un dans l’autre :
• Celui qui relate les aventures de l’équipe d’un film, leurs querelles professionnelles et intimes, tout cela mêlé à un travail commun : le tournage d’un film.
• Celui du « film dans le film »: un jeune homme récemment marié vient sur la Côte d’Azur présenter son épouse à ses parents, non sans complications.
Equipe & Casting
Réalisateur • François Truffaut
Scénario • François Truffaut, Jean-Louis Richard, Suzanne Schiffman
Directeur de la photographie • Pierre-William Glenn
Producteur • Marcel Berbert
Avec :
Jacqueline Bisset, Valentina Cortese, Jean-Pierre Aumont, Jean-Pierre Léaud, Nathalie Baye, François Truffaut…
// Copie 35mm fournie par le British Film institute //
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Comment s’est opéré le choix du titre pour ce film, La Nuit américaine ?
La Nuit américaine est un film sur le Cinéma, sur le tournage d’un film. C’est la chronique du tournage d’un film depuis le premier jour des prises de vue jusqu’au jour où toute l’équipe se sépare. Il fallait donc forcément que le titre fasse un peu référence au cinéma, même si l’expression est peu connue. Et comme on a beaucoup usé et abusé des titres comme Moteur ! Silence on tourne! ou Le Rouge est mis, il fallait trouver autre chose, et La Nuit américaine avait aussi le mérite d’être joli même si on en connait pas le sens.
La Nuit américaine, c’est un terme de cinéma qui désigne une prise de vue effectuée en plein jour mais dont le résultat sur l’écran donnera l’impression de se passer la nuit. Autrement dit, on met un filtre devant la caméra, sur l’objectif, et on appelle ça la nuit américaine alors que curieusement, les Américains à Hollywood n’ont jamais appelé ça La Nuit américaine, ils appellent ça Day for Night.
Pensez-vous être parvenu à décrire la profession cinématographique dans son ensemble à travers ce film ?
Je ne pense pas que le film dise franchement toute la vérité sur le Cinéma, probablement parce que c’est difficile, mais je crois que le film ne dit que des choses vraies, simplement, évidemment, mais pas entièrement. C’est-à-dire que depuis que le film est fini, je pense constamment à des choses qui ne sont malheureusement pas dans le film. Alors je sais que j’ai de la matière pour un autre film, mais on ne peut pas faire deux films sur un sujet comme ça, pas si rapproché. Mais je crois que ce thème sera beaucoup repris dans les années à venir parce que ça fait partie de la vie d’aujourd’hui.
Aviez-vous déjà une idée précise des acteurs que vous vouliez engager avant de commencer à travailler sur ce projet ?
Il y a des acteurs pour qui j’ai écrit : Je savais dès le début que j’aurais Jean-Pierre Léaud, je savais dès le début que j’aurais Jacqueline Bisset parce que je l’avais vue dans des films américains et Jean-Pierre Léaud, parce que j’écrivais pour lui. Ils étaient les acteurs de départ, et Jean-Pierre Aumont aussi. Pour Valentina Cortese, je n’étais pas fixé absolument sur la femme que je prendrais sur mon film. J’ai donc beaucoup tenu compte de ses réactions. C’est une femme qui a une invention formidable, et c’est une invention qui est très belle parce que c’est une invention qui est généreuse ; pas une invention égoïste pour que le personnage soit prestigieux. Elle a une invention au contraire très satirique, tournée contre elle-même. Une invention baroque, disons.
Comment avez-vous abordé le personnage de Julie Baker interprété par Jacqueline Bisset ?
J’ai une expérience certaine de tournage avec des comédiennes anglaises, et Jacqueline Bisset, dans le film, est un peu une synthèse des anglaises avec qui j’ai tournées. Principalement les deux filles que j’ai eues sur Les deux anglaises et le continent et Julie Christie que j’ai eue sur Fahrenheit 451. Jacqueline Bisset offrait l’avantage de venir d’Hollywood, donc elle amenait une part de cette mythologie avec elle.
Lorsque Ferrand, ce metteur en scène que vous jouez, dit « De toute façon, le Cinéma, c’est toujours plus important que la vie », est-ce le personnage qui parle ou est-ce François Truffaut ?
Je crois qu’une phrase, une scène comme ça qui tourne autour de la question de savoir si la vie est plus importante – ou la vie privée n’est-elle pas boiteuse pour tout le monde alors que la vie professionnelle nous apporte une grande joie lorsqu’on fait le métier qu’on a choisi – je crois que ce sont des termes qu’il est indispensable de brasser quand on fait un film là-dessus. Je crois que c’est comme les pièces de Pierre Angelo au théâtre ou encore une fois avec les pièces d’Anouilh.
Moi je n’ai pas d’opinion. J’ai voulu laisser un peu chacun s’exprimer dans cette histoire. Ce que je crois, c’est qu’un metteur en scène ressent cela vraiment au moins pendant le tournage. C’est vrai que, pendant le tournage, le film devient prioritaire et il envahit tout, forcément au détriment de la vie privée et éventuellement de la vie familiale.
Adapté des entretiens de François Truffaut le 08 juin 1973 (Emission « Pour le Cinéma ») et le 10 mai 1986 à Cannes – tiré des Archives de l’Institut National de l’Audiovisuel
Que retirez-vous de votre travail avec Truffaut ?
Le rapport de François avec le cinéma était à peu près le même que le mien. Nous nous posions les mêmes questions : pourquoi raconter des histoires ? Pourquoi partir dans la fiction ? François disait : « ce qui m’énerve, c’est la phrase : « Si on aime la vie, on va au cinéma ». Moi, si j’aimais la vie, je n’irais pas au cinéma ». Cette idée d’engagement dans la fiction, dans le désir de se raconter des histoires et d’être heureux avec les histoires que l’on raconte sur un grand écran, était notre point commun. Le voir le formuler et pouvoir le filmer dans La Nuit américaine a été essentiel pour moi. Les rapports au sein de l’équipe étaient détonants. Tous les membres de l’équipe avaient une double nature : ils jouaient un rôle dans le film tout en y exerçant une fonction réelle. Sauf moi, que l’on croit voir juste à la fin, sur une moto en plan général. Ainsi, Walter Bal, qui était mon assistant, interprétait le chef opérateur du film de fiction, et il lui est arrivé de faire le point sur ma caméra, puis de passer devant (entrer dans le « champ ») pour jouer son rôle dans le film. Le rapport « réel » était avec la caméra qui tournait, mais l’équipe devait jouer son rôle. La vie du cinéma, cette vie rêvée, plus importante que la vie « réelle », était essentielle pour Truffaut.
Un autre film se tournait en même temps aux studios de la Victorine, avec Raquel Welsh et James Coburn, The Last of Sheila, réalisé par Herbert Ross – dont personne n’a jamais entendu parler. Nous avions donc en direct un rapport avec le cinéma américain de studio. Nous tournions un petit film français, avec six camionnettes, quand eux avaient trois kilomètres de bagnoles. Et La Nuit américaine a eu le succès que l’on sait. Notre petite équipe était très symptomatique des gens du cirque, des gens du voyage, que Truffaut aimait – le côté gitan, le côté Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cent Coups, le côté résistant à l’ordre établi, anarchiste de droite qu’il a toujours été. Le cinéma tel qu’il était représenté dans La Nuit américaine ne me semblait pas du tout correspondre au cinéma tel qu’il se pratiquait en réalité, mais c’était le cinéma de Truffaut. Ce qui est formidable est que c’est devenu une représentation du cinéma français dans le monde. Il faut toujours se méfier de l’idée du réalisme. La Nuit américaine a aussi beaucoup changé mon rapport à la beauté et à la cinégénie. J’y ai pris conscience que l’on ne filme bien que ce que l’on aime. Le secret de la beauté au cinéma est qu’elle réside dans une manière de regarder : il n’y a de beauté que dans l’œil. La question de cinégénie reste quelque chose de très mystérieux. Avec François, j’ai découvert la part de magie et d’irrationnel qu’il y a dans cette question.
Comment se passait le tournage avec lui ?
Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, Truffaut était un homme de studio. Quand on tournait en décor naturel, il faisait tout pour que cela ressemble à un tournage en studio. Il n’aimait pas l’idée de la foule, ni celle du documentaire. Dès que l’on était quelque part, cela devenait un espace cinématographique protégé : ce n’était pas ouvert, ce n’était pas Wiseman, c’était sans rapport avec une quelconque réalité. Et ce n’était surtout pas le genre à faire du Terrence Mallick, à attendre trois jours, répéter toute une journée pour tourner en vingt minutes des choses méthodiquement mises en place.
J’ai tourné avec des réalisateurs désagréables, qui ont besoin que ça soit conflictuel sur le plateau : si cela se passe bien, c’est que le film ne va pas. Godard est typiquement un homme qui a besoin du conflit, de prendre une victime expiatoire sur le film, ce qui fiat que l’on est un peu gêné et que l’on se retrouve dans la position coupable de la personne refusant son « assistance à la personne en danger ». Pour Truffaut, au contraire, le plateau était un lieu de vie : tout devait s’y passer avec de la tendresse, de l’amour, du désir. Si certains ont besoin du conflit pour créer, lui était paralysé par le conflit. Il détestait que les gens crient, se disputent. Il disait préférer l’hypocrisie à la violence. Ce qui n’était pas mon cas et ce fut un beau mariage entre nous…
Les réalisateurs de la Nouvelle Vague, Truffaut, Rivette, Lelouch, avaient un besoin vital de respirer l’énergie collective du plateau de tournage. Certains ne vivaient que pour ce lieu, jusqu’à être à demi morts quand ils ne tournaient pas. D’autres voyaient le tournage comme un mauvais moment à passer ; seul comptait le matériau filmique que l’on a allait pouvoir manipuler, couper, recomposer tranquillement à l’abri de la salle de montage. François vivait pour le tournage de ses films. C’était pour lui un moment de vie intense. Le plateau n’était pas un espace réel, mais un lieu clos qui tenait de la magie, un lieu de vie, ainsi que son bureau. Il y était chez lui. Sa famille, c’était : Christian Lentretien, Marcel Berbert et Suzanne Schiffman, qui pour moi était plus qu’une assistante, une coréalisatrice. Aux Films du Carosse, on avait l’impression aussi d’entrer dans un appartement et non dans un bureau de production.
Entretien réalisé par Serge Toubiana et Florence tissot le 4 avril 2015 –tiré de François Truffaut, éditions Flammarion et La Cinémathèque Française
Chicago Sun Times
“Truffaut knows and loves the movies so much he is infectious; one of Day for Night’s best scenes is a dream in which the adult director remembers himself, as a little boy, slinking down a darkened street to steal a still from “Citizen Kane” from in front of a theater. We know who the little boy grew up to be, and that explains everything to us about how he feels now.”
Roger Ebert, September 7, 1973
The New York Times
“”As soon as we grasp things,” says Severine, “they’re gone.” In one way and another, almost all of Truffaut’s films have been aware of this impermanence, which, instead of making life and love seem cheap, renders them especially precious. […] Day for Night” is Truffaut’s fondest, most compassionate film, and although it is packed with references to films and film people (Welles, Vigo, Fellini, Buñuel, among others) and although it is dedicated to Lillian and Dorothy Gish, it’s not a particularly inside movie. That is, it has great fun showing us how movies are made, how rain and snow are manufactured, how animals are directed (or not), how acts of God can affect a script, but its major concerns are people working at a profession they love, sometimes to the exclusion of everything else. […] In “Day for Night,” Truffaut is looking at the world from inside a glorious obsession: everyone outside looks a little gray and dim.”
Vincent Canby, September 29, 1973
Le Monde
« Film « à la première personne », La Nuit américaine l’est autant que Les Quatre cents coups. Lorsque le réalisateur de Je vous présente Pamela (rôle tenu par François Truffaut lui-même) revoit en rêve l’enfant qu’il a été, un gosse qui chapardait les photos d’acteurs affichées à la porte des salles, c’est évidemment un souvenir personnel qu’il évoque. Et lorsque Truffaut dit à Jean-Pierre Léaud : « Un film, c’est plus important que tout », on ne sait plus très bien si l’on est dans la fiction ou la réalité. Toute sa vie, François Truffaut a été fasciné par le cinéma. Ni les années ni la gloire n’ont altéré cette fascination. Elle vient de lui inspirer un de ses meilleurs films. »
Jean de Baroncelli, 16/05/1973
Le Figaro
« L’habilité de Truffaut tient à ceci qu’il n’accorde pas plus d’importance aux péripéties personnelles qu’aux péripéties inventées. Il ne cède jamais à la tentation de l’emphase. Il chasse les démons pirandelliens. Pour lui, tous les détails, vrais ou faux, s’identifient au même jeu, composent une seule histoire, grâce aux mystères de l’interférence.
Et voilà pourquoi La Nuit américaine restera comme la mieux accomplie des œuvres du genre. Les bons films de Truffaut sont d’ailleurs ceux qui reçoivent le meilleur et le plus secret de lui-même. Celui-ci dispense une sorte d’enchantement par les moyens les plus humbles et sans le moindre artifice d’émotion. Miracle de l’art pur. »
Louis Chauvet, 15/05/1973
Les Echos
« Présenté, à la demande du metteur en scène, hors concours à Cannes, il a rassuré ceux qui estimaient que la sélection française donnait une image « dégradante » de notre production. Rien de plus tendre, de plus pudique, de plus léger que cette comédie cinématographique. Avec, en prime, une promenade dans des « coulisses » qui, même pour les cinéphiles, restent souvent mystérieuses et dont Truffaut nous montre ici, tout simplement, la vraie vie. »
[S.N.], 04/06/1973
Le Canard enchainé
« Un film très public et très professionnel, un film réussi de bout en bout que je ne vous raconterai pas, mais qu’il faut aller voir. Un film français, enfin, réalisé avec esprit et légèreté. Le meilleur film de François Truffaut. »
M.D., 30/05/1973