Cambodge, 1971.
Alors qu’il travaille à la restauration des temples d’Angkor, François Bizot, ethnologue français, est capturé par les Khmers rouges. Détenu dans un camp perdu dans la jungle, Bizot est accusé d’être un espion de la CIA. Sa seule chance de salut, convaincre Douch: le jeune chef du camp, de son innocence. Tandis que le français découvre la réalité de l’embrigadement des Khmers rouges, se construit entre le prisonnier et son geôlier un lien indéfinissable…
Equipe & Casting
Réalisateur • Régis Wargnier
Scénario • Régis Wargnier, Antoine Audouard
D’après la nouvelle autobiographique Le Portail et Le Silence du bourreau de François Bizot
Producteurs • Sidonie Dumas, Jean Cottin, Rithy Panh
Avec :
Raphaël Personnaz, Kompheak Phoeung, Olivier Gourmet…
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La guerre d’Indochine, qui était une guerre de décolonisation, a commencé en 1946, et a duré jusqu’en 1954. Elle fut aussitôt suivie de la guerre du Vietnam, de 1955 à 1975, qui a opposé le Nord du pays, soutenu par le bloc des pays communistes, au Sud, allié des Américains. J’avais vingt-sept ans quand Saïgon et Phnom Penh sont tombés, et je n’avais connu cette partie du monde qu’en état de guerre. Après l’invasion du Cambodge par les vietnamiens en 1979, et la fin officielle de la dictature des Khmers rouges, la guérilla s’est poursuivie sur une dizaine d’années, et lorsque j’ai découvert le Cambodge, à l’occasion d’une visite officielle du Président Mitterrand, en 1993, la ville de Phnom Penh était encore sous la protection des Nations Unies et de ses casques bleus. Pendant toutes ces années, nous avons vécu dans une Europe enfin apaisée, et nous n’avons pourtant jamais été loin de ces pays indochinois, de leurs guerres, de leurs souffrances, de leurs fractures, et enfin de leur reconstruction. Leur destin a fait partie de notre enfance, de notre adolescence, de notre vie d’adulte. Voilà pourquoi ils ont été si proches de nous, et le sont encore. C’est aussi pourquoi je suis entré dans le récit de François Bizot comme on entre sur une terre familière.
Une attente fructueuse
La découverte et la lecture du livre Le Portail lors de sa parution en 2000, ont été pour moi un véritable choc. Deux éléments m’ont immédiatement interpellé. D’abord, la qualité d’écriture intrinsèque de l’ouvrage. Ensuite, l’état dans lequel était Bizot quand il a appris que Douch était vivant. C’est d’ailleurs le surgissement de Douch dans sa vie qui l’a poussé à prendre la plume, lui qui avait voulu évacuer cet épisode de sa mémoire, parce qu’il n’avait pas pu sauver ses deux assistants, Ung Hok Lay et Kang Son (Narang). Mais il a eu le sentiment qu’il ne pouvait plus le garder pour lui. Lorsque j’ai rencontré Bizot pour lui parler de mon projet d’adaptation, il m’a appris que les premiers mots de Douch, quand celui-ci a été arrêté dans le camp d’une organisation humanitaire, où il enseignait le catéchisme et les mathématiques aux enfants, furent ceux-ci: « je ne parlerai qu’à mon ami français ». Le projet à l’époque n’avait pas pu aboutir. Bizot, qui à travers le chemin de l’écriture, venait de revivre ces moments très forts de sa propre vie, chargés aussi de culpabilité, d’interrogations sans réponse, n’était pas prêt à devenir un personnage de cinéma, voire un héros de fiction. Il fallait qu’il digère son propre livre. Quant à moi il me manquait un élément pour traiter cinématographiquement cette histoire. Il me manquait le « troisième acte »: les retrouvailles entre Douch et « son ami français » qui ne s’étaient pas encore produites. La parution du dernier livre de François Bizot, Le Silence du bourreau, en 2011, qui décrit la confrontation entre les deux hommes avant le procès de Douch à Phnom Penh, m’a apporté cet élément manquant. La condamnation de Douch en 2012 nous a également permis de tourner le film au Cambodge. Son procès était terminé et il faisait désormais partie de l’Histoire.
Ainsi, lorsque j’ai revu François Bizot il y a trois ans, nous avons convenu que nous pouvions désormais envisager l’écriture et la réalisation d’un film inspiré des événements forts qui ont jalonné sa vie au Cambodge : nous avions, pour ce faire, son parcours, aussi incroyable que bouleversant, avec une véritable perspective, celle que permet une histoire quand elle a trouvé sa fin.
Un lien indéfinissable
François Bizot avait 28 ans quand il a été arrêté, puis détenu, par les Khmers rouges. Sa jeunesse correspondait à celle de Douch. Ces deux hommes, à peine entrés dans la maturité, allaient vivre et affronter des situations tendues et dangereuses, alors que leurs vécus et leurs expériences ne les y avaient pas préparés : pour Douch, le combat politique et la guérilla compensaient sa jeunesse, Bizot, lui, ne pouvait se raccrocher qu’à sa colère et à son impétuosité, qui auraient dû le desservir et le faire condamner. C’est justement cette attitude, irréfléchie mais authentique, qui a ébranlé les certitudes de Douch sur la culpabilité du Français. La relation entre les deux hommes mêle compréhension mutuelle et proximité, mais pas d’amitié à proprement parler. Au départ, chacun était dans un « rôle » : l’un, le geôlier et l’autre, le prisonnier – le bourreau et la victime – et s’ils s’en étaient tenus là, rien de plus ne se serait produit. Mais l’interrogatoire de Douch les a rapprochés et chacun est sorti du rôle où l’Histoire les avait installés : aux yeux du bourreau, Bizot a quitté son costume d’ennemi, et au-delà du tortionnaire, le Français a vu un homme, tout simplement. C’est ce qui explique leur relation hors du commun. D’ailleurs quand ils se retrouvent des années plus tard, ils n’ont rien oublié l’un de l’autre, et la première question que Douch pose à Bizot est « Comment va ta fille ? ».
Dans un sursaut totalement imprévisible, Douch a demandé la venue de son « ami français », Bizot, comme un appel à l’aide. Douch espère revoir un ami, il rêve d’un soutien, et c’est un homme qui vient régler des comptes qui se présente à lui, dans l’ombre de la prison. Pas un ennemi déclaré, plutôt l’incarnation d’une conscience. Et dont la condamnation, en réponse au jugement intime demandé par Douch sur ses crimes, sera sans appel. Il y a encore, dans le déroulement de leur relation, un aspect moral, d’une haute exigence : Bizot est face à l’homme, Douch, qui lui a sauvé la vie par deux fois, et cette réalité indéfectible n’a pas d’existence face au jugement que le Français doit porter sur son sauveur. L’individu charnel, qui a été épargné, s’efface pour laisser place à un être moral, un homme face aux crimes d’un autre homme.
Bizot se retrouve alors coupé en deux.
Une exigence de réalisme
L’utopie révolutionnaire traverse trois films que j’ai réalisés, et où elle apparaît aux différents stades de son évolution. Dans Indochine, le communisme naissant est le ferment de la révolution, et il fait voler en éclats les destins personnels, créant un fossé irrémédiable entre les colonisateurs et les révoltés. L’utopie est devenue régime politique dans Est-Ouest, et règne en dictateur sur les peuples, imposant un régime oppressant à tous les citoyens, dans chaque aspect de leurs vies. Ces deux films s’appuyaient sur des éléments romanesques définis à dessein, où les sentiments amoureux, voire passionnels, trouvaient leur place et guidaient le récit.
Le Temps des aveux montre une époque où les régimes communistes, ayant vaincu les ennemis de l’extérieur, retournent contre eux-mêmes leurs obsessions paranoïaques en instaurant la méfiance, la délation, et finalement l’élimination dans leurs propres rangs. Cette réalité, historique, politique, et humaine, a exigé une approche et un regard différents. Il n’y a plus de place pour les parcours romanesques. J’ai souhaité être au plus près de l’humain, et de sa vérité.
Par souci de réalisme, j’ai tenu à tourner en décors naturels au Cambodge. Nous avons recréé le camp de prisonniers dans la jungle à trois heures de route d’Angkor, sur le site de Koh Ker, où règnait un silence absolu. Dans ce lieu, j’ai tout de suite imaginé la disposition des éléments qui composeraient le camp et qui me permettraient de mettre en scène la confrontation entre Bizot, enchainé à son poteau, et Douch qui le surveillait depuis la cabane des gardes. L’impression de huis clos dans la jungle était d’autant plus forte que le site n’étant pas entièrement déminé, il était impossible pour nous de sortir des chemins balisés. D’autre part, j’ai tenu à tourner dans la continuité. Il aurait été très difficile de faire autrement pour les deux acteurs. Ce choix s’est avéré bénéfique et permettait aux acteurs d’arriver sur le plateau plongés dans l’histoire, encore imprégnés par la situation qu’ils avaient quittée quelques heures plus tôt.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?
Régis Wargnier m’a proposé le scénario : je ne connaissais ni le livre de François Bizot, Le Portail, qui raconte sa propre histoire, ni son parcours. Pourtant, l’histoire des Khmers rouges m’a toujours interpellé, car je me souviens qu’à une époque, mon père avait recueilli des Cambodgiens réfugiés en France. C’est un projet qui, par l’ampleur de ce qu’il raconte sur le plan humain et historique, m’a tout de suite attiré.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le scénario ?
J’ai d’abord été fasciné par le livre, et par la manière dont François Bizot aborde le sujet. Il a su retranscrire avec justesse le climat étouffant et silencieux qui règne dans le camp. Dans le scénario, ce qui m’a touché, c’est cette rencontre entre le bourreau et sa victime, et le poids du « non-dit ». Pour les Européens, cette façon de communiquer est assez singulière et inhabituelle. Au Cambodge, les codes culturels et les interactions sociales sont très différents : on ne hurle pas ses sentiments. Mon personnage, qui vit depuis un moment là-bas, a adopté les us et coutumes locales. Du coup, outre l’aspect historique, c’est la relation qui se noue entre deux hommes et la place de l’homme derrière le bourreau qui m’ont intéressé. Quant à François Bizot – homme très éprouvé par tout ce qu’il a enduré –, il y a chez lui un questionnement très fort qui reste sans réponse : pourquoi a-t-il été épargné alors que 13 000 personnes ont été tuées sur l’ordre de Douch ?
Comment vous êtes-vous imprégné du sujet ?
Il y a un an et demi, j’ai fait un premier voyage avec Régis et une partie de l’équipe au Cambodge. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré ceux qui allaient devenir mes partenaires, dont Kompheak. J’ai aussi pu visionner des images relatant les retrouvailles de Bizot et Douch en 2000, filmées par une équipe de télévision : ces deux hommes ne s’étaient pas vus depuis de longues années…
Vous interprétez un personnage réel, et encore en vie…
C’est beaucoup plus compliqué d’interpréter quelqu’un de vivant ! J’étais honoré de rencontrer François Bizot et je suis très respectueux de son parcours. Mais je n’avais pas envie de copier ses attitudes : je ne voulais pas l’évoquer par des inflexions de voix ou des mimiques. En me mettant à sa place, j’imagine que je n’aimerais pas être imité dans les moindres détails. Le spectateur doit avoir la possibilité de projeter un certain nombre de choses sur les personnages.
Le tournage a-t-il été éprouvant? On voit très nettement à l’écran la transformation physique de votre personnage.
On a tourné dans la continuité, dans la jungle, où il faisait très chaud et très humide. De plus, je suivais un régime très strict et j’ai perdu 10 kg pour les séquences qui se déroulent dans le camp. J’étais forcément à cran ! La sensation de faim, tenace, m’a donné un sentiment de flottement nécessaire pour ressentir et faire ressentir la dureté de l’épreuve traversée par Bizot.
Quel est votre parcours ?
Je n’avais encore jamais tourné de film de cinéma, ni été comédien. J’ai fait des études de lettres et je dirige une troupe de théâtre, comme directeur artistique. A première vue, il n’y a pas de lien direct avec Le Temps des aveux, mais le théâtre relève du domaine artistique et d’une certaine façon, c’est lié au cinéma.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet du Temps des aveux ?
Ce n’est pas moi qui ai fait le premier pas vers la production, même si je savais qu’un film était en préparation à partir du livre Le Portail. Comme je n’ai jamais joué et que le personnage de Douch est un rôle primordial dans le film – et que je ne lui ressemble pas vraiment physiquement – je n’ai pas osé postuler. C’est donc la Cambodian Film Commission (CFC) qui m’a appelé : un de mes amis leur avait suggéré mon nom et dit que je serais, peut-être, capable d’incarner le personnage. Au début, j’étais un peu réticent, car ce n’est pas un rôle facile à interpréter.
Avez-vous hésité longtemps avant d’accepter d’incarner Douch ?
Oui, car je ne suis pas comédien de formation. Mon métier, c’est diriger une troupe de théâtre, pas jouer. Mais Régis Wargnier a accepté de prendre le pari : il m’a demandé si j’accepterais d’être dirigé, et je lui ai répondu que je savais faire la part des choses. Il existe une autre raison pour laquelle j’ai hésité. Au Cambodge, les gens ont du mal à distinguer la différence entre le théâtre, le cinéma et la vie réelle. Je me souviens, enfant, avoir grandi dans un village où il y avait beaucoup d’activités culturelles, notamment lors des fêtes religieuses. Et pendant les représentations théâtrales, le public jetait des pierres sur le comédien qui interprétait le bourreau ou le méchant. Du coup, incarner Douch, sur le plan moral, était une décision difficile. Ce rôle m’a permis d’aller au-delà de moi-même : de nature, je suis quelqu’un de doux, et le fait de jouer un bourreau m’intéressait. Mes hésitations étaient liées à la culture khmère et à la réalité cambodgienne, mais je les ai dépassées.
Comment Régis Wargnier dirige-t-il ses comédiens ?
Quand je l’ai vu diriger ses comédiens, je me suis dit qu’il était difficile de trouver meilleure direction que la sienne : il est très structuré, à la fois carré, et concis. Il sait faire passer des messages clairs pour exprimer ce qu’il veut. Ses consignes sont brèves et précises. On comprend très vite ses attentes. C’est un metteur en scène rare, même si je n’ai pas d’autre expérience.
Dossier de presse “Le Temps des Aveux”
Français ~ 25 pages ~ 2,5 Mo ~ pdf