Présentation et discussion avec Mathieu Busson, réalisateur & Christie Molia, productrice
Deux ans après le premier opus Cinéastes, dix-sept réalisateurs français se prêtent au jeu de l’entretien, répondant à la même question que leurs homologues féminins : le cinéma a-t-il un sexe ?
Equipe & Casting
Réalisateurs • Julie Gayet et Mathieu Busson
Producteur • Christie Molia / TSVP
Avec :
Mathieu Amalric, Jacques Audiard, Luc Besson, Bertrand Blier, Jérôme Bonnell, Thomas Cailley, Arnaud Desplechin, Bruno Dumont, Guillaume Gallienne, Arthur Harari, Michel Hazanavicius, Cédric Klapisch, Claude Lelouch, Emmanuel Mouret, Olivier Nakache et Eric Toledano, Bertrand Tavernier…
The Cultural Service of the French Embassy:
Supporting Contribution for Documentary Screenings
Choisissez une photo pour voir la filmoraphie (source : IMDB)
Comment est née l’idée de ce second Cinéastes ?
Céline Sciamma et d’autres nous avaient dit lors du film consacré aux femmes : « Mais, c’est aux hommes que vous devriez poser la question ». Du coup, l’envie est très vite venue de jouer le jeu de l’arroseur arrosé. Surtout, nous avions pris énormément de plaisir à faire le premier, alors…
Votre échantillon d’interviewés est assez représentatif du cinéma français…
Comme sur le premier opus, c’était le but. De confronter aussi bien la jeune génération à la plus ancienne pour voir s’il y avait une évolution. Ou d’essayer d’alterner entre réalisateurs de films d’auteurs ou cinéastes populaires, pour voir si les problèmes de genre pouvaient être relatifs au budget d’un film.
Dans quelle mesure les cinéastes femmes interrogées dans le premier volet avaient-elles une pensée plus élaborée sur la question du genre dans leur métier ?
Malheureusement, les femmes cinéastes sont très souvent confrontées à cette question, de la part des journalistes ou autres. Du coup, elles ont l’habitude d’y répondre, alors que les hommes… tombent des nues. On ne leur parle quasiment jamais à eux du fait qu’ils soient des hommes en train de réaliser. Comme le dit Mia Hansen-Løve, « un film de femme est un film de femme, alors qu’un film d’homme est juste… un film. » De plus, la plupart doivent aujourd’hui encore faire face, de près ou de loin, à des réactions machistes dans le milieu du cinéma et elles sont donc obligées, j’imagine, de préparer leur défense.
Dans ce deuxième opus, les cinéastes hommes sont déconcertés dans un premier temps, puis on voit éclore leur pensée sur une question qu’ils ne s’étaient souvent jamais posée. Mathieu Amalric par exemple avoue qu’on ne lui a jamais posé la question du sexe des images…
On les a pris au dépourvu. Pendant plus de 100 ans, personne ne leur avait posé la question. A titre d’exemple, on fait tout un battage quand Jane Campion est présidente du Festival de Cannes, parce que c’est une femme. Personne ne se dit l’année d’après en parlant des Cohen « tiens, des frères, c’est bizarre » ou ne s’étonne l’année d’avant parce que Spielberg a une barbe et des lunettes. Et en même temps, c’est vrai que c’est fou : à part Jane Campion, aucune autre femme n’a reçu la Palme d’Or, et c’est l’une des rares à avoir présidé le Festival en quasi soixante-dix ans d’existence. Plus concrètement, nous avons essayé en rencontrant les hommes de les surprendre. On ne leur disait pas vraiment le thème de l’interview avant. Le but n’était pas de les piéger, mais d’assister en direct à leur réflexion sur le sujet. Que cette réflexion soit la plus spontanée possible.
Selon vous, une caméra est-elle sexuée ?
Je suis cartésien, alors pour moi, une caméra c’est d’abord des vis, du métal et de l’électronique. Par contre, j’aime beaucoup la façon dont certains cinéastes parlent du désir de filmer. Amalric parle de la nécessité d’être amoureux pour déclencher l’envie du cinéaste. Harari et Besson, de l’obligation d’aimer tous ses acteurs. Dumont estime carrément que « toute l’histoire du cinéma, c’est l’histoire du désir des hommes pour les femmes ». Je les rejoins donc au moins là-dessus : pour filmer, il faut du désir, de l’amour. Après, je pense que le regard d’un cinéaste sera sexué s’il a envie de l’être. Il me semble que si le cinéma de Campion, encore elle, est unanimement reconnu comme celui d’une cinéaste au regard féminin, c’est qu’il y a une volonté consciente de sa part de le faire. Là ou d’autres (très souvent les hommes) ne se posent pas la question.
La question du genre vous taraudait ?
Au début, pas vraiment. Très peu même. Il s’agissait d’une commande [de Canal +] sur laquelle nous-mêmes avions des doutes. Je n’ai pas de réponse définitive aujourd’hui sur la question. Il est déjà parfois difficile de reconnaître entre eux les films d’un même cinéaste. Une même œuvre va présenter des films plus ou moins sexués dans le regard. Ce qui est certain, c’est que la parité est très loin d’être acquise. Et dans un milieu qui se veut souvent en avance sur son temps, c’est plus qu’un problème. C’est quasi scandaleux.
Etant vous-même comédien, réalisateur et scénariste, pourquoi ne pas vous être prêté au jeu des questions ?
D’abord, parce que n’étant pas journalistes, en réalisant ces documentaires, nous avons essayé de les faire humblement. En nous effaçant le plus possible. Ensuite, parce que, si le choix des intervenants s’est porté sur un panel le plus large possible, le dénominateur commun était qu’ils soient connus, sinon reconnus. Et… personne ne me connaît.
Quels ont été vos choix de lumière et de cadre ?
L’idée, en allant à la rencontre de chaque cinéaste, était d’être le moins envahissants possible. Du coup, pas de maquillage, pas de lumières artificielles. Nous étions volontairement légers pour que les échanges s’apparentent plus à une conversation qu’à une interview classique et posée. Dans le même sens, nous souhaitions être assez proches d’eux, quitte à avoir de très gros plans. Malgré ça, nous souhaitions pour filmer ces cinéastes une image qui fasse hommage au cinéma : contrastée et avec une faible profondeur de champ. Le 5D le permettait, tout en offrant de marquer chaque interview, chaque lieu d’une couleur un peu particulière et donc de proposer une meilleure lisibilité des échanges dans le montage final.
Quelles sont les évolutions techniques par rapport au premier volet ?
Les évolutions ont d’abord été des… régressions. Pour être encore plus légers, nous pensions notamment pouvoir désormais faire l’impasse sur un ingénieur son. Grosse erreur !!! Par contre, nous avons eu un peu plus de temps pour faire le 2e opus, et les animations sont donc peut-être un peu plus abouties.
Vos deux documentaires donnent-ils à voir vos opinions, à vous et à Julie Gayet ?
Le but n’était pas de charger qui que ce soit. Et lorsqu’on a 20 intervenants (40 en réunissant les deux films), forcément, il y a des divergences d’opinions donc la tentation de prendre parti, en mettant en valeur untel ou untel, peut être grande. Nous avons essayé d’éviter cela et que l’ensemble soit plutôt une réflexion commune à plusieurs voix. J’imagine malgré tout que notre regard transparait, ne serait-ce qu’au travers du choix des intervenants. Mais nous souhaitions surtout poser la question sans forcément asséner de réponse. Le problème reste très compliqué, mais ce qui est certain c’est que je reste du côté de celui qui a le moins de droits, le moins de possibilités. Et aujourd’hui, c’est encore clairement les femmes. Du coup cette aventure m’a rendu encore plus féministe. Ce n’est peut-être pas un hasard, mais “Busson”, qui est mon nom de scène, est en réalité le nom de ma grand-mère : elle a divorcé de mon grand-père pour prendre sa liberté de femme à 75 ans !
… Autre chose ?
La chose commune à toutes et tous c’est leur amour du cinéma. Qu’on aime ou pas leurs films, tous ont en commun une curiosité insatiable envers leurs confrères. Ce sont tous des travailleurs acharnés. Et, pour évident que cela puisse paraître, ça a été la plus belle surprise de toutes ces rencontres.
Dossier de presse “Cinéastes”
Français ~ 11 pages ~ 2 Mo ~ pdf