Présentation et discussion avec Matthieu Delaporte, réalisateur et Alexandre de la Patellière, co-scénariste
Sébastien Nicolas, 42 ans, est agent immobilier sans histoires. Il mène une vie solitaire, retranché dans les sous-sols de son pavillon de banlieue. Au lieu de se construire à une vie meilleure, il préfère copier celle des autres. Au gré de ses rencontres, il va se métamorphoser en un personnage choisi. Ainsi déguisé, il va vivre la vie d’un illustre inconnu pour donner un sens à la sienne. Mais l’une de ses rencontres, quelqu’un au lourd passé, va l’amener à franchir une ligne jaune, comme un point de non-retour.
Equipe & Casting
Réalisateur • Matthieu Delaporte
Scénario • Matthieu Delaporte, Alexandre de La Patellière
Producteurs • Alexandre De La Patellière, Dimitri Rassam
Avec :
Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze, Eric Caravaca, Philippe Duclos, Olivier Rabourdin…
Chosissez une photo pour voir la filmographie (source : IMDB)
Souhaitiez-vous dès le départ adopter le point de vue du personnage principal ?
Le point de départ était vraiment d’écrire l’histoire de quelqu’un qui a l’impression de n’être personne… à la première personne ! Les individus qui souffrent de ce trouble identitaire – la dépersonnalisation – n’ont pas d’univers imaginaire et sont dans l’autoanalyse permanente : ils racontent volontiers qu’ils ont un sentiment de déréalisation et qu’ils se sentent «décoller». D’ailleurs, tout leur vocabulaire se rapproche d’un lexique cinématographique : ils parlent de personnages, de figurants, d’irréalité etc. Je voulais donc raconter l’histoire de cet homme qui a le sentiment de ne pas exister et de ne pas faire partie du monde, mais qui a cette magistrale capacité à copier puisqu’il n’a pas d’imaginaire et qui, chemin faisant, se cherche chez les autres. Et je souhaitais traiter par le romanesque et la fiction cette quête identitaire qui est de l’ordre de l’intime et de la psychanalyse.
Le comportement du protagoniste évoque celui d’un tueur en série : maniaque, méticuleux, obsessionnel, précis. Et pourtant, il ne tue jamais personne…
Une des clés que j’avais données à l’acteur Mathieu Kassovitz, c’était de se considérer comme un tueur en série qui ne passe pas à l’acte : je voulais jouer sur tous les codes du serial killer, tout en m’intéressant à un homme incapable de faire le mal. Il a beaucoup plus de facilité à se faire souffrir lui-même qu’à faire souffrir autrui, et il a d’ailleurs peur de s’affranchir de sa famille. Très souvent, les gens qui souffrent du syndrome de dépersonnalisation ont tellement appris à faire ce qu’ils doivent faire qu’ils ne savent plus ce qu’ils veulent faire : ils savent comment faire plaisir aux autres – et ce sont donc des êtres sociaux parfaits –, mais ils en oublient leur volonté propre. Au fond, c’est toute la problématique d’écrivains comme Romain Gary et Fernando Pessoa qui ont été une importante source d’inspiration pour le film. Par exemple, Gary s’est créé un double pour pouvoir s’affranchir de certaines pesanteurs : il a été écrivain, ambassadeur comme le rêvait sa mère, et s’est inventé un alias pour devenir lui-même. Chez Pessoa, la création d’hétéronymes visait à surseoir à un sentiment d’inexistence et de disparition. Ce qui m’intéresse chez Sébastien Nicolas, c’est que son sentiment d’imposture relève, paradoxalement, d’une recherche d’authenticité.
Sébastien Nicolas pourrait-il être la métaphore de l’écrivain ou du cinéaste qui se nourrit, littéralement, des autres pour imaginer un destin et une histoire à des personnages ?
Tout à fait. J’ai énormément lu sur les écrivains et leur goût du double. Chez le protagoniste, il y a aussi la métaphore de l’acteur qui ne veut plus quitter son rôle parce qu’il ne se sent vivant que lorsqu’il campe un personnage. Ce qui m’intéresse dans ce phénomène d’usurpation, c’est qu’on est au cœur de la fiction : les individus souffrant de dépersonnalisation veulent que la fiction – leur « roman » ou leur « film » personnel – prenne le pas sur la réalité.
Dans le film, la fiction triomphe sur la réalité.
Oui, c’est une vraie victoire de la mystification. D’ailleurs, j’avais écrit une voix-off – que j’ai finalement supprimée – qui disait : «je ne contrefais pas, je fais pour». Sébastien n’est pas quelqu’un qui utilise l’identité d’autrui pour en abuser, mais qui lui donne un surcroît d’existence : il prend la vie d’un homme qui n’en veut plus. Face à ce grand musicien désespéré et confronté à lui-même, qui ne veut plus être lui-même, se dresse Sébastien Nicolas, qui a le sentiment de n’être personne, et qui est prêt à prendre sa vie. L’usurpation qui fonctionne répond toujours à un désir : on ne peut prendre la place de quelqu’un que si l’entourage veut y croire. Ensuite, Sébastien Nicolas est rattrapé par les événements. Car on ne change pas de vie sans causer de dégâts et sans faire du mal aux autres.
Le film parle aussi de filiation, ou d’absence de filiation dans le cas du personnage de Kassovitz qui est d’une solitude terrifiante…
La figure du père est déclinée sous plusieurs aspects : le père absent, le père religieux auquel Sébastien se confie, et le père qu’il devient lui-même puisque, d’une certaine façon, il s’auto- engendre. Et ce faisant, il devient le père d’un enfant qui a besoin d’une figure paternelle : en acceptant cette nouvelle identité, il devient son propre père. Est-ce l’amour de l’enfant qui le fait basculer, ou le fait de se fondre dans la peau de l’autre qui lui permet de devenir père ? Pour moi, on ne peut pas les dissocier. Au fond, je pense qu’il a l’impression d’exister soudain alors qu’il n’avait jamais imaginé que c’était possible. Et il franchit le Rubicon et en assume les conséquences jusqu’au bout.
Pourquoi avez-vous choisi un violoniste ?
Je cherchais une profession qu’on ne peut plus poursuivre quand on perd une partie de son corps. Henri de Montalte est un être de passion, habité par la musique, qui vit par la musique, et dès l’instant où il est privé de l’exercice de la musique, il perd le sens de son existence. Le violon est d’une telle précision qu’en perdant deux doigts, on ne peut plus jouer. C’est aussi un instrument dont on doit soi-même produire le son : le musicien donne vie à l’instrument et la moindre note sur un violon est propre à son interprète. Seul le violoniste peut vraiment prétendre ne plus du tout pouvoir exercer son art. Le musicien met sa musique entre lui et le monde pour se protéger : quand on lui enlève ce bouclier, il se retrouve nu et exposé au regard des autres. Et Sébastien Nicolas, qui était nu puisque dépourvu d’imaginaire, prend ce bouclier qui s’offre à lui.
Mathieu Kassovitz interprète plusieurs personnages ; cela a-t-il représenté une difficulté ?
J’ai rencontré plusieurs acteurs car il s’agit d’un rôle extrêmement difficile. Mais après avoir lu une vingtaine de pages du scénario, Mathieu a appelé le producteur en lui disant qu’il ferait le film si les 40 pages suivantes étaient du même acabit ! Je pense aujourd’hui que le film ne serait pas ce qu’il est sans lui et je suis par moments saisi de vertiges en me disant qu’il aurait pu ne pas nous accompagner. Avec Mathieu, les choses ont été très simples : il a tout de suite compris ce que je voulais. Pour qu’un acteur vous donne beaucoup, il faut qu’il se livre et qu’il accède à sa fragilité, et pour y parvenir, il faut le mettre en confiance. C’est le rôle du metteur en scène. On s’est très bien entendu, en instaurant une complicité professionnelle, tout en étant très respectueux l’un de l’autre et en n’empiétant pas sur nos espaces de liberté respectifs. Dès qu’il arrivait sur le plateau et qu’il voyait la caméra, il savait exactement quoi faire et où se positionner. Il a un imaginaire, une sensibilité et une pudeur extraordinaires.
C’était un tournage particulièrement éprouvant pour Mathieu Kassovitz…
Il a survécu à 13 semaines de tournage et à 4 heures de maquillage par jour ! Je ne mesurais pas, au départ, à quel point cela allait être une performance physique pour lui. Heureusement, Mathieu est très sportif et costaud : je pense que tout autre acteur aurait été épuisé avant la fin du tournage. Mais Mathieu est un roc, ce qui ne se voit pas forcément. Il est capable de dégager beaucoup de fragilité. En outre, il invente à chaque fois, il évite les facilités, ce qui permet à chacun de se projeter sur son personnage car il a cette capacité à jouer monsieur-tout-le-monde, tout en étant à même de jouer d’autres individus sans les singer : on sent qu’il ne compose pas.
Était-il évident d’emblée qu’il jouerait les deux rôles ?
Cela a fait l’objet de longues discussions et de nombreux essais. Ce qui était compliqué, c’est qu’en ne contrôlant pas l’original et la copie, Mathieu, dans son interprétation, aurait dû copier le jeu d’un personnage de fiction – autrement dit, quelqu’un qui jouerait lui-même un rôle ! On aurait multiplié ces effets de poupées russes inutilement. En réalité, le violoniste est son double parfait : après avoir copié d’autres personnages, de manière satisfaisante mais imparfaite, il trouve son « chef-d’oeuvre » avec Henri de Montalte.
Quel dispositif de mise en scène avez-vous privilégié ?
Tout est observé du point de vue de Sébastien Nicolas : en dehors du pré-générique, on le regarde comme lui-même regarde les autres. Petit à petit, le spectateur, qui a une vision clinique du personnage, épouse son point de vue, partage ses émotions et éprouve de l’empathie pour lui. Au niveau de la mise en scène, au départ tout est très cadré et Sébastien est constamment d’un côté du cadre, comme s’il était lui-même dans la maîtrise sociale : tout est impeccable chez lui – presque trop –, ce qui se retrouve dans une image très composée, assez froide et géométrique. Puis, quand Sébastien est dans la sensation, la caméra se met à bouger, les flous existent, comme si la mise en scène devenait organique. On a essayé beaucoup de caméras avec David Ungaro, le chef-opérateur, pour trouver celle qui correspondait le mieux à l’idée qu’on avait du film.
Dossier de presse “Un illustre inconnu”
Anglais ~ 14 pages ~ 1,5 Mo ~ pdf
Dossier de presse “Un illustre inconnu”
Français ~ 10 pages ~ 705 Ko ~ pdf