Présentation et discussion avec Stéphanie Gillard, réalisatrice et scénariste
• Projection spéciale honorée par la présence
de la réalisatrice, productrice et actrice Georgina Lightning (Maskwacis/Plains/Cree), du réalisateur et producteur Chris Eyre (Cheyenne/Arapaho), de l’acteur et cascadeur George Aguilar (Apache/Yaqui) et des membres des Eleven Native American Tribes of Virginia •
Chaque hiver, une troupe de cavaliers Sioux traverse les grandes plaines du Dakota pour commémorer le massacre de leurs ancêtres à Wounded Knee. Sur ces terres qui ne leur appartiennent plus, les aînés tentent de transmettre aux plus jeunes leur culture, ou ce qu’il en reste. Un voyage dans le temps, à la mémoire des ancêtres, un voyage pour recons¬truire une identité perdue qui confronte l’Amérique à sa propre histoire.
Equipe & Casting
Réalisatrice/Scénariste • Stéphanie Gillard
Directeur de la photographie • Martin de Chabaneix
Compositeur • Vincent Bourre
Producteurs • Julie Gayet and Nadia Turincev
The Cultural Service of the French Embassy:
Supporting Contribution for Documentary Screenings
In association with the new Pocahontas Reframed Film Festival: Native American Storytellers (November 17-19, 2017) supported by American Evolution 2019 Commemoration, Virginia Film Office, Francis Ford Coppola and the Eleven Native American Tribes of Virginia.
N’y a-t-il pas une réelle dimension politique dans la réalisation de votre film ?
En effet, ce film traite du périple en lui-même, mais aussi des événements que les cavaliers commémorent : Wounded Knee qui est le dernier massacre qui a scellé la fin des guerres indiennes. De par son contexte historique, le film est donc très politique car ce n’est pas n’importe quel événement dans l’Histoire américaine. Le film permet de comprendre comment l’Histoire a façonné le présent. Pendant ce voyage, les cavaliers nous racontent leur vie et ce qui s’est passé sur cette même route il y a 125 ans. Ils racontent ce que les Etats-Unis ont fait à leur nation, ce qu’ils ont eux-mêmes vécu : évangélisation, acculturation, destruction de leur langue, vol des terres de façon constante et insidieuse.
Pendant les 15 jours de la chevauchée, ces hommes se ressaisissent de leur Histoire, la tête haute. Ils sortent de l’esprit de prostration dans lequel on dépeint si souvent la réserve. Ils ne sont plus des victimes, mais, en faisant face au froid, à la neige, à la faim, mais aussi au regard des autres, ils incarnent le courage, la solidarité́ et la dignité́. Au galop dans les prairies, ils redeviennent, le temps de deux semaines, sinon des guerriers, du moins les membres d’un peuple qui jadis fut libre. Ils se ressaisissent de leur histoire pour qu’elle ne soit pas oubliée, pour dire l’importance de la mémoire et pour la transmettre, en même temps que leurs valeurs, à la jeune génération. C’est un cheminement pour devenir soi, simplement, redevenir Lakota.
Cette chevauchée suit une piste de larmes mais elle est vécue par les cavaliers comme un moment joyeux, ce qui rend cette histoire fascinante et exaltante. Par conséquent, ce film peut toucher tout le monde, parce qu’il montre un bel exemple d’humanité, de générosité, de courage et de sagesse à l’heure où les valeurs ont tendance à être oubliées.
Comment avez-vous eu connaissance de cette chevauchée commémorative qui a lieu chaque année en Décembre ?
Il y a quelques années, passionnée par les romans de Jim Harrison, j’ai commencé́ à lire tous ses livres. C’est ainsi que je suis tombée sur un recueil de photos dont il avait écrit la préface. Des images de cavaliers Sioux dans le blizzard, le visage couvert de bandanas givrés ou de masques de ski, dévalant une colline enneigée. Une troupe de cavaliers portant des bâtons à plumes, longeant une route verglacée, suivie par une file de vieilles voitures américaines. Les silhouettes de trois cavaliers dignes d’Edward Curtis apparaissant dans un rétroviseur de voiture…
Dans ces images, j’ai trouvé une beauté́ exaltante, quelque chose d’aujourd’hui mais gardant une dimension mythique. De loin, les chevaux, les plumes, les bâtons de prières peuvent faire croire que cela se passe il y a un siècle, comme si ces cavaliers repartaient sur le sentier de la guerre. Mais de près, les signes sont brouillés, ils se mêlent aux attributs de notre époque : parkas et bonnets, pick-up et stations-services, qui nous parlent d’une certaine Amérique d’aujourd’hui.
J’ai alors cherché par tous les moyens à contacter ce groupe de cavaliers. Ces photos avaient été́ prises 20 ans auparavant, mais je savais que cette chevauchée continuait d’exister, chaque année. Finalement j’ai trouvé́ un numéro de téléphone, j’ai appelé et une femme m’a dit que je n’avais qu’à venir.
Comment avez-vous réussi à vous faire accepter par les Sioux ?
Je suis partie une première fois pour participer à la chevauchée en Décembre 2009. J’étais un peu timide, je savais que j’étais une étrangère pour eux, mais au fil des jours, j’ai commencé à devenir plus familière avec les participants. J’ai dormi dans les mêmes gymnases, j’ai aidé avec les chevaux et les repas autant que je le pouvais. Je voulais vraiment vivre l’aventure avec eux. Chaque jour on me proposait de monter à cheval, mais je ne me sentais pas légitime dans cette commémoration, j’avais le sentiment d’être plutôt l’image de l’ennemi. On m’a dit que « non cela n’a rien à voir, cela fait partie du processus de pardon et de souvenir».
Je préférais néanmoins changer de pick-up chaque jour, discuter avec les accompagnateurs, découvrir leur histoire, leur point de vue et leurs raisons de faire cette chevauchée. Ils me racontaient leur vie, leur enfance. Je découvrais tout ce qu’on ne dit pas sur les Indiens: l’école forcée, l’interdiction de parler sa langue et de pratiquer sa religion jusque dans les années 70, les blancs qui exploitent les terres de la réserve, les Indiens qui sont devenus des cow-boys, la difficulté d’être Indien, et tout le reste…
Mais cela n’était plus simplement une liste, c’était l’histoire vécue de chacun de ceux que je rencontrais. Ils me la racontaient sans se plaindre, sans se poser en victime. Ils se demandaient pourquoi je m’étais intéressée à eux, alors qu’ils sont «si pauvres et ne sont rien.»
Et puis un matin Jimmy m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : «Frenchie, je t’ai trouvé un cheval, mais, si tu veux pas monter à cru, tu dois te trouver des rênes et une selle…»
Un autre me les a tout de suite prêtées. Je ne pouvais pas reculer. 7 heures de chevauchée par -20°C. Et puis dormir dans la voiture malgré la neige qui arrive à entrer dans l’habitacle. Le lendemain c’était Noël, et le blizzard était là. Nous avons dû attendre, des heures dans le vent, en tenant les chevaux pour ne pas qu’ils s’enfuient. Finalement, après avoir eu le sentiment d’avoir survécu à une version glaciale de l’enfer, nous avons trouvé notre paradis dans une petite station-service minable avec un litre de café américain, un paquet de chips et des cigarettes.
J’avais déjà une idée de la dureté de l’épreuve, mais c’était au-delà de ce que j’imaginais.
À peine plus d’un mois plus tard, en Février, j’y suis retournée une deuxième fois. J’ai visité trois réserves dans le but de revoir tous ceux que j’avais rencontrés sur la chevauchée. Cette deuxième rencontre fut encore plus intense. Ils étaient surpris et contents de me revoir, surtout les enfants. En général les gens ne reviennent pas leur rendre visite. Beaucoup d’entre eux pensent que le monde ne s’intéresse pas eux. Ils étaient ravis que je leur apporte les quelques photos que j’avais prises car nombreux sont les médias qui sont venus sans jamais leur donner une trace de ce qu’ils ont filmé ou photographié.
J’ai refait le périple en Décembre 2010, et je suis revenue au cours de l’été 2011 pour passer plus de temps avec les Lakotas (Sioux), pour en apprendre encore plus sur leurs habitudes et leur vie. Nous sommes restés en contact depuis… ils sont devenus ma deuxième famille.
Dans votre film, les enfants ont une place importante. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
J’étais particulièrement inspirée par les jeunes Lakota que j’ai rencontrés au cours de mes visites : le sourire franc et sans arrières pensées de Jesse et son amour pour les chevaux, le rire de Wolf quand il chante au coeur de la nuit, les doutes de Carla quant à son futur, le sérieux de T.C quand il parle de rejoindre l’armée, Chang qui me cherchait à chaque fois qu’il voulait faire un jeu, et Ramey qui m’invitait toujours à danser – j’ai partagé des moments uniques avec ces jeunes personnes. Au cours de cette chevauchée, on a rigolé, pleuré, on avait faim et froid ensemble. J’ai entendu leurs voix, leurs doutes et leurs histoires. Bien qu’ils soient jeunes, j’étais stupéfaite par leur maturité, surtout après une enfance où on ne leur donnait que très peu d’espoir pour un avenir prometteur. Je me suis demandé comment vit-on avec une si étrange dualité : être Américain et Sioux en même temps, se poser personnellement cette question, pour souvent ne pas connaître la réponse.
Dossier de presse “The Ride”
Anglais ~ 9 pages ~ 1,8 Mo ~ pdf
Dossier de presse “The Ride”
Français ~ 9 pages ~ 6,2 Mo ~ pdf